La famille Apeloig-Bernager

Georges Apeloig, né le 8 août 1908 à Paris, décédé le 12 février 1949.

Diplômé rabbin en 1931, il participe au développement de la communauté israélite amiénoise et devient premier rabbin de la synagogue inaugurée en 1935.

En 1936, Georges Apeloig prend la direction du centre de Louveciennes de l’Œuvre israélite des séjours à la campagne (OSC). Son épouse Léa l’assiste dans cette mission.

Rappelé fin août 1939, il exerce comme aumônier militaire et son dévouement lui vaut la Croix de guerre. Prisonnier le 22 juin 1940, il est conduit en Silésie puis est libéré et rapatrié en décembre. Il rejoint aussitôt le Lot où sont réfugiés son épouse, ses filles et les enfants du centre de l’OSC.

Il multiplie dès lors les démarches afin que lui soit confiée une mission alors que la persécution des Juifs a débuté. Il lui faut patienter jusqu’aux derniers mois de 1942 pour être nommé aumônier du camp de Rivesaltes où il parvient à sauver plusieurs familles qui devaient être déportées.

En janvier 1943, il est nommé à Châteauroux où il assure également des responsabilités régionales.

Georges Apeloig s’installe donc dans l’Indre avec les siens mais il s’engage aussi dans la résistance.

A partir de juin 1945, le rabbin s’investit dans la recherche des enfants « cachés » et l’accueil d’enfants de retour des camps. Epuisé, il décède prématurément en 1949.

 

Léa Bernager, née à Paris le 9 octobre 1907, décédée à Paris le 27 février 1999.

L’épouse du rabbin a assuré la direction de la maison d’enfants de l’OSC de la fin août 1939 à 1942, alors que son époux était « sous les drapeaux » puis en quête de nouvelles missions. Il apparaît qu’un partage des responsabilités, pour ne pas dire un modus vivendi, a été trouvé avec Yvonne Lévy-Engelmann, administratrice de l’OSC qui demeure logée au château de Mercuès. La direction au quotidien est assurée par Léa Bernager, qui loge avec ou à proximité immédiate des enfants, et « Mademoiselle » Yvonne gère les relations avec les autorités préfectorales, avec les institutions israélites bientôt unifiées au sein de l’UGIF (puis avec l’OSE, en tout cas sa branche clandestine opérationnelle) et aussi avec les cultivateurs des environs pour améliorer l’ordinaire…

Elle est remplacée début 1943 par un directeur nommé par l’OSE et rejoint ensuite son mari à Châteauroux.

Par ailleurs, Léa Bernager, bien intégrée dans le tissu local, a permis à nombre de ses proches de venir s’installer sur Cahors et sa périphérie. A commencer par ses parents. Ce n’était au fond qu’une continuation, puisque c’était déjà le cas à Louveciennes...

 

Myriam Apelioig, née à Paris le 18 juillet 1937, décédée à Paris le 12 mai 2016.

La fille aînée du couple a participé ponctuellement aux activités du groupe des enfants confiés à l’OSC.

 

Evelyne Pewzner-Apeloig, née le 5 octobre 1939 à Louveciennes.

Venue au monde au début de la guerre, la seconde enfant du couple deviendra plus tard psychiatre-psychothérapeute, professeur honoraire des universités. Auteur de nombreux ouvrages, elle effectuera un « pèlerinage » à Mercuès et Douelle puis consacrera à son père une saisissante biographie : « À l'ombre de l'Absent, Chronique d’un oublié », éditions Librinova (2024). Elle y retrace l’itinéraire de son père avant, pendant et après la guerre, et évoque les années passées à Mercuès et Douelle, dont elle-même conserve quelques souvenirs plutôt heureux, du reste. Evelyne Pewzner-Apeloig a volontiers échangé avec nous durant la première phase de notre travail. Qu’elle en soit ici vivement remerciée.

 

Israël Bernager, né le 15 octobre 1864 à Podberezie (Russie), décédé à Douelle le 13 février 1943.

Esther Avijansky épouse Bernager, née en mars 1878 à Suwalki (Lituanie), décédée en mai 1964 à Neuilly-sur-Seine.

Les parents de Léa Bernager ont rejoint leur fille, leur gendre et une partie de la famille lorsque la petite colonie de l’OSC s’installa durablement dans la périphérie de Cahors. Le couple occupa à Douelle une maison où étaient également logées leurs petites-filles Myriam et Evelyne. Israël Bernager est décédé durant cet « exil » lotois, à Douelle, en 1943, à l’âge de 79 ans. Il y fut inhumé provisoirement à Douelle dans le caveau d'un prêtre avant que sa dépouille fut « rapatriée » à Paris après la guerre.

 

Alfred Bernager (1914-1999).

Le frère cadet de Léa Bernager a séjourné à Douelle. Jeune médecin interdit d’exercer en vertu du statut des juifs, il y échappa à une arrestation grâce à la bienveillance d’un gendarme et décida aussitôt de quitter le Lot puis de s’engager dans la Résistance. Alfred Bernager (dit aussi Fred Bernager) a témoigné de son expérience durant la guerre et une fiche particulière lui est consacrée à retrouver ici.

 

Ferdinand Lichnewsky, né le 5 mars 1907 à Paris, décédé le 12 juillet 1981 à Villepinte.

Fanny Bernager épouse Lichnewsky, née le 27 mai 1903 à Paris, décédée le 13 octobre 1985 à Paris.

Le couple composé du beau-frère de Léa Bernager, Ferdinand Lichnewsky, musicien de profession, et d’une de ses sœurs aînées est domicilié à Douelle, à la même adresse que les parents du directeur et de la directrice de la petite colonie de l’OSC (maison Roquette) puis à Cahors. En ville, ils seront hébergés par Jean et Marguerite Marnet, qui accueillent également l’enfant Colette Benichou et René Lichnewsky, frère de Ferdinand.

René ou Ferdinand Lichnewsky ? CA 1942. ©Nelly Blaya/fonds Bouzerand/Nespoulous

C’est peu dire que Jean Marnet jouait un double-jeu : il dirigeait en effet le bureau d’assistance sociale de Cahors, une structure de grande importance en cette période. A ce titre, on ne peut exclure qu’il a pu venir en aide d’ailleurs au groupe de l’OSC.

Le couple Marnet s’est vu décerner le titre de Juste parmi les Nations en 1998. On peut lire ces explications sur le site du comité français de Yad Vashem : « Le docteur Albert Benichou vivait à Bellac (Haute-Vienne) avec sa femme Sica et leur fille Colette. Tous trois étaient de nationalité française. La législation anti-juive de Vichy obligea Albert Benichou à fermer son cabinet de consultation. Il rallia alors la Résistance. Lorsque les Allemands occupèrent le sud de la France, le médecin, se sentant particulièrement exposé – en tant que Juif et Résistant, communiste et gaulliste, et de surcroît soupçonné d’être franc-maçon – décida de mettre en sécurité la petite Colette, qui avait alors trois ans. Il s’adressa à ses amis Jean et Marguerite Marnet, qui habitaient Cahors où Jean dirigeait le bureau d’assistance sociale. Les Marnet proposèrent immédiatement d’accueillir la fillette. Pour rassurer les Benichou, Jean leur expliqua qu’en cas de nécessité il lui fournirait des faux papiers et la placerait dans un foyer choisi avec soin. Le transfert s’effectua dans le plus grand secret, avec l’aide de plusieurs amis des Marnet. Colette vécut chez Jean et Marguerite pendant dix-neuf mois, jusqu’à la Libération. Choyée et traitée comme la fille de la maison, inscrite à l’école maternelle, elle trouva en outre en Jean-Max, le fils des Marnet, un frère adoptif. Pendant toute la période de l’Occupation la famille Marnet risqua sa vie pour aider les persécutés. A côté de la petite Colette, ils hébergeaient plusieurs Juifs traqués, en attendant de leur trouver une cachette. Les Marnet donnèrent ainsi asile à M. Lichnewsky, un pianiste, à sa femme, et au chirurgien Lichnewsky son frère. »

Mais un autre fait mérite l’attention. Le musicien Ferdinand Lichnewsky, durant son séjour lotois, continua à exercer son art.

On lit ainsi dans Le Journal du Lot du 24 décembre 1941 ce surprenant compte rendu…

« BEAU CONCERT A LA PREFECTURE

Il y aurait indécence en ces sombres jours à convier le public à quelque fête de plaisir mondain. Mais il nous reste la musique. Et une évasion dans le monde enchanté des sons libère un instant le coeur du poids lourd des soucis. C'est ce que nous offrait dimanche M. Loïc Petit, Préfet du Lot, avec un programme où figuraient les grands enchanteurs Mozart, Schumann et César Franck.

A cet appel avait répondu un très nombreux auditoire qui remplissait la grande salle de la Préfecture. Nous avons toujours pensé qu'il existe à Cahors un public pour la vraie musique. Il ne s'agit que de lui en offrir l'occasion et d'assurer aux Maîtres une interprétation digne d'eux. Ces conditions étaient bien remplies, puisque deux artistes de grande classe devaient exécuter quatre sonates pour piano et violon : Mlle Jane-Eva Leclerc et M. F. Lichnewsky. Mlle Leclerc met une superbe maîtrise du clavier au service d'un tempérament musical qui éprouve et fait sentir à l'auditeur les beautés d'une œuvre sous leurs aspects les plus divers. Quant à M. F. Lichnewsky, il n'est pas seulement un virtuose de l'archet qui donne à son violon une belle sonorité. Il joue avec largeur et puissance et développe admirablement les phrases musicales.

Avec ces deux artistes nous avons pu savourer successivement le charme magique, la séduction chantante et la grâce de Mozart, puis la fougue ardente et la passion romantique de Schumann. Mais, suivant notre goût, ils se sont dépassés dans la splendide et exaltante et émouvante sonate de César Franck, _ de la musique à l'état pur, suivant l'expression de M. le Préfet. Le public emballé leur a fait une longue et chaleureuse ovation.

Entre deux sonates, Mlle Leclerc a joué d'éblouissante façon les « Jeux d'eau », de Maurice Ravel, qui sont une étonnante transcription musicale des reflets sonores que l'imagination d'un artiste peut saisir. Le grand succès de cette belle séance d'art, _ qui était donnée au bénéfice de la commune de Dormans, filleule du Lot, _nous en fait espérer d'autres dont tous les amateurs de musique à Cahors seront reconnaissants à M. Loïc Petit. »

Dans la même édition, mais cette fois dans la rubrique des petites annonces, ces quelques lignes : 

Journal du Lot, 24 décembre 1941, AD46

Bien que collaborationniste zélé, le préfet Loïc Petit s’accordait donc quelques dérogations… Ainsi, les artistes juifs étaient les bienvenus dans la grande salle de la Préfecture puisque l’on sait que par ailleurs, Yvonne Lévy-Engelmann, secrétaire générale de l’OSC restée au château de Mercuès, y exposa à plusieurs reprises !

Un autre concert de Ferdinand Lichnewsky eut lieu en juin 1942. Le même Journal du Lot publia un compte rendu tout aussi enthousiaste (édition du 6 juin 1942).

Fin 1943, Ferdinand rejoint la Résistance. Son épouse décidé lors de quitter le Lot et part avec ses enfants Jacques et Denise à Saint-Affrique, dans l’Aveyron, où s’est déjà installée sa sœur Lisa (1903-1993).

Jacques Lichnewsky, né le 12 septembre 1935 à Paris, décédé le 4 janvier 1990 à Gonesse.

Denise Lichnewsky, née le 19 mai 1933 à Paris.

Les enfants du couple Ferdinand-Fanny sont recensés comme pris en charge par l’OSC et domiciliés à Douelle avec les autres enfants. Ils sont arrivés du reste dans le Lot en juin 1940, etleurs parents ne les y rejoignent qu’en 1941. Ils suivent l’emploi du temps commun sauf lors des réunions familiales...

 

René Lichnewsky, né le 25 mai 1914 à Fontenay-sous-Bois, décédé le 21 juin 2001 à Boulogne-Billancourt.

Chirurgien de profession, ami d’Alfred Bernager, René Lichnewsky est logé à Cahors chez Jean et Marguerite Marnet. Le couple Marnet accueille également Ferdinand Lichnewsky et son épouse, ainsi que la petite Colette Benichou (voir ci-dessus).

René Lichnewsky est mentionné sur les registres de Douelle versés aux Archives du Lot comme ayant participé à la surveillance des voies ferrées avec Georges et Alfred Bernager.

Registre des gardes des voies ferrées, 1943,.AD46 EDT088-95

Georges Bernager, né le 23 mai 1901 à Paris, décédé le 21 janvier 1990 à Paris.

Ce frère de Léa séjourna à Douelle une fois démobilisé. Il est noté comme ayant participé à la surveillance des voies ferrées.

Sont enfin à mentionner Albert et Annette Lichnewsky, les parents de Ferdinand et René, qui s’installèrent à Douelle et qui y accueillirent leurs cousins Cohen, sauvés par Reine Arnaudet (voir cet article sur le site du comité français de Yad Vashem).

Raymonde Cohen, CA 1942. ©Nelly Blaya/fonds Bouzerand/Nespoulous

 

Sources : Archives du Lot, Site Gallica BNF, Site du comité français de Yad Vashem, et l’ouvrage d’Evelyne Pewzner-Apeloig : « À l'ombre de l'Absent, Chronique d'un oublié », Paris, Libranova, 2024.