Les souvenirs de Lucien Zilberstein
Dans son ouvrage autobiographique centré sur les années terribles de la Seconde guerre, Lucien Zilberstein évoque le quotidien de la maison (des souvenirs ravivés après une rencontre avec l’ancien directeur, un demi-siècle plus tard).
Dans un autre passage de livre, il dit souhaiter que soit étudiée la possible reconnaissance d’Espère comme village de Justes. Il insiste en tout cas sur le bon accueil et la gentillesse des habitants et de leurs enfants qu’il côtoyait à l’école...
« Je suis arrivé à Espère-Caillac (*), petit village du Lot, au printemps 1942. Nous sommes 23 enfants de 5 à 15 ans encadrés par un jeune directeur, sa femme et ses filles. Il y a trois moniteurs, une cuisinière et une aide. Nous sommes installés dans une ancienne ferme-château qui appartient à un riche propriétaire de la région.
Monsieur Mendelgwaig, que j'ai rencontré en 1995 chez lui à Paris et qui était ce jeune directeur de 30 ans, m'a raconté notre vie à Espère.
Nous allions nous baigner dans la rivière et cueillir des noix et les enfants au-delà de 6 ans allaient à la petite école primaire au cœur du vieux bourg. Il y avait 3 ou 4 classes. Nous avons vraiment été très bien accueillis et aidés par la population du village, les métayers et la boulangerie de Mercuès mais malgré cela le plus difficile était l'approvisionnement en nourriture.
Mademoiselle (Lévy-Engelmann), depuis son château de Mercuès, intervenait auprès des cultivateurs de la région pour qu'ils nous apportent des pommes de terre mais surtout des oignons. Des oignons ! Ce que nous avons pu en manger ! Par moment, il n'y avait que ça, mais c'est un légume universel grâce auquel un homme peut survivre des mois alors qu'aucun autre aliment n'a cette vertu.
Autrefois, dans la marine à voiles, il y avait toujours de grandes quantités d'oignons dans les cales des navires.
Éric Tabarly avait écrit qu'il en emportait toujours dans ses voiliers au cas où la traversée serait plus longue que prévu.
Un jour de 1943, un délégué de l'OSÉ de Limoges est arrivé afin d'informer Monsieur Mendelgwaig de la fermeture immédiate de la maison d'enfants car les arrestations d'enfants et de dirigeants de l'OSÉ avaient commencé.
Nous allions devoir quitter Espère et nos petits camarades d'école. Nous étions là depuis un an et nous nous étions fait des amis. Nous allions être dirigés vers le sud de la France, dans des familles d'accueil ou d'autres maisons d'enfants. J'ai appris plus tard que certains de mes petits camarades avaient été pris en charge pour partir en Amérique… »
(*) Cette double appellation – le nom de Caillac, village voisin à l’époque réputé pour ses cultures de fraises destinées à Paris, où elles étaient convoyées par le train, est accolé à celui d’Espère - est celle de la gare, ce qui laisse à penser que le petit Lucien était arrivé par la voie ferrée.
Source : Extrait de l’ouvrage de Lucien Zilberstein : « Août 1942, gare de Drancy », éd. Je Publie, Paris, 2008, seconde édition en 2019 avec une préface de Serge Klarsfeld.