Les enfants Trom
Nathan Trom, né le 6 août 1932 à Anvers (Belgique). Vit toujours en Israël.
Albert dit Aby Trom, né le 23 janvier 1935 à Anvers (Belgique), décédé le 3 mars 2024 en Belgique.
Mentionnés par Lucien Zilberstein dans son récit autobiographique, les deux frères Nathan et Albert Trom ont séjourné à Espère quelques semaines à l'automne 1942. Avec leurs parents originaires d'Anvers, ils étaient réfugiés dans le Tarn depuis mai 1940, accueillis d'abord en tant que réfugiés puis obligés de passer dans la clandestinité.

Après un incident (Albert s'étant blessé en jouant dans une cour, ce qui attira l'attention des voisins), les parents décident de les confier à l'OSÉ dans des circonstances inconnues. Toujours est-il que les enfants se souviennent de leur passage dans le Lot, où ils dirent avoir souffert de la faim et, pour l'un d'entre-eux, de réprimandes en raison de troubles d'énurésie. Albert racontera plus tard qu'un de ses camarades avait dérobé des pommes de terre et les avait fait cuire dans la cheminée de la chambrée : une anecdote évoquée effectivement par Félix Transport !
Leurs parents qui comprennent que les enfants ne se sentent pas au mieux dans la maison lotoise finissent par les retirer pour les cacher ailleurs et les confier à des familles (indemnisées à cette fin), à Toulouse et de nouveau dans le Tarn.
A la fin de la guerre, la famille rentre à Anvers. Albert songera un temps à s'établir en Israël mais finit par choisir de prendre la succession de son père à la tête de l'entreprise familiale, dans le domaine de la diamanterie. Il attendra les dernières années de sa vie pour témoigner en détail de son passé d'enfant caché.
Son frère aîné, pour sa part, vit toujours en Israël.
L'histoire de la famille nous a été confiée par sa belle-fille, Mme Géraldine Trom, que nous remercions infiniment. Nous reproduisons son texte in extenso.
- L'histoire des enfants Trom et de leurs parents, réfugiés en France, 1940-1944
Le père d'Albert et de Nathan, Moshe, est né le 13 mai 1905 à Sanok, en Pologne. Moshe avait onze ans lorsque son père, Nissen Zimet, décéda subitement en 1916 ; il était mort des suites d’une gangrène après avoir été renversé par une automobile à Vienne, où la famille avait trouvé refuge pendant la Première Guerre mondiale, comme beaucoup d'autres familles en Galicie.
Sa mère Chaja Judith Trom s’est donc retrouvée seule avec six jeunes enfants. Moshe avait 11 ans, un âge critique pour qu’un garçon perde son père. C’est probablement l’un des facteurs qui ont conduit Moshe à abandonner sa pratique du judaïsme peu de temps après. Mais il y en a certainement d’autres : la pauvreté à Sanok était terrible et l’antisémitisme en Pologne était en hausse. Moshe cherchait désespérément un avenir meilleur.
Les discussions sur le début d’une nouvelle vie en Terre d’Israël (la Palestine à l’époque) et sur la construction d’un État juif l’ont séduit. Il se rapproche du mouvement sioniste de Sanok, ce qui lui vaut d'être expulsé de la maison de prière des hassidim de Belz que fréquentait sa famille. A 20 ans, Moshe finit par quitter la Pologne, en août 1925, pour la Palestine.
Avant lui, son cousin germain, Aron Hersh Ginzburg, avait lui aussi tenté de mener une vie de pionnier en rejoignant pendant un temps le kibboutz Hulda. Mais il abandonna finalement et choisit de venir s'installer à Anvers en septembre 1924. Aron Hersh fut le premier de la famille à se lancer dans le commerce du diamant. Il épousa Dora Handel Trom, la plus jeune sœur de Chaja Judith, en 1926.
Le rêve d’Israël puis le retour
Malheureusement, les espoirs de Moshe furent rapidement déçus. La vie était vraiment dure dans la colonie juive encore sous-développée, le travail était éreintant, tout restait à construire. Certains jours, la tâche qui lui était assignée consistait simplement à casser des pierres.
Avec tristesse, il se résigne à abandonner son rêve et à retourner en Europe. Cependant, il reste un fervent partisan d’Israël, membre du Mapai (Parti des travailleurs de la Terre d'Israël). Menahem Begin a même assisté au mariage de son plus jeune fils en 1957.
Moshe a réussi à transmettre son amour d'Israël à ses enfants. Nathan, né en 1932, finira par se marier en Israël et s'installe avec sa famille dans la ville de Holon. Aby a également essayé de réaliser le rêve de son père. Il passa deux ans au kibboutz de Gevulot où son fils aîné, Ilan, est né en 1959, mais il revient finalement à Anvers en 1960.
Moshe a choisi Anvers probablement parce qu'il y avait déjà de la famille : Dora et Hersh Ginzburg (comme mentionné précédemment), mais aussi son grand-oncle David Moshe Lesser, époux de Mirel Ellowicz, arrivé en août 1925 (Mirel était une tante de Chaya Judith, une sœur de Sima Beracha Ellowicz). Leur fils Lippe Lesser avait un entrepôt sur les quais et vendait des vieux métaux et des cordes. Il était situé dans la Schalienstraat, face à l'Escaut. Et l’on pense que Majer (le frère cadet de Sima et Moshe) et Frans Rosseels (qui a reçu à titre posthume le titre de Juste parmi les Nations pour avoir sauvé Sima, la plus jeune sœur de Moshe, ainsi que Rosa, sœur plus âgée, et les enfants de celle-ci, Paul et Astrid. Il a œuvré inlassablement au sauvetage des Juifs d'Anvers jusqu’à y laisser la vie.) y travaillaient avec lui.
Une carrière de négociant
Moshe a probablement aussi entendu dire que la vie à Anvers était pleine d'opportunités. Son navire accoste à Marseille et après un séjour à Lyon, il arrive le 16 juin 1927. Il travaille d'abord comme professeur de matières religieuses dans une école juive d'Anvers. Puis, lorsqu'il maîtrisa suffisamment la langue locale, il commença à travailler comme colporteur, vendant des tissus à la commission. Au fil du temps, il s'est bâti une clientèle stable dans le Limbourg, dans l'est de la Belgique, près du Luxembourg.
Il rencontra sa femme Dora Jahr, née à Bardejov, en Slovaquie, et ils se marièrent le 17 décembre 1929.
Dora et la mère de Moshe, Chaya Judith, ne se sont jamais vraiment entendues. Chaya Judith regrettait probablement que son fils n'ait pas choisi une épouse dont le mode de vie eût été plus conforme au judaïsme traditionnel.
Moshe a beaucoup aimé sa femme toute sa vie. Son plus grand plaisir était de lui lire de la poésie yiddish. Il était un fervent admirateur des écrivains yiddish et alla jusqu'à les accueillir personnellement lors de leur passage à Anvers après la guerre. Le célèbre poète Avraham Sutzkever a ainsi honoré leur maison. Et il a également accueilli Abba Kovner à Anvers.
Les affaires marchaient bien, Moshe réussit à ouvrir un entrepôt pour son commerce de tissus, à Eisden, dans le Limbourg (à une heure et demie à l'est d'Anvers).
Ses enfants sont nés : Nathan en 1932 et Aby en 1934. En juillet 1934, ils retournent à Anvers. Dora avait besoin d'aide avec les enfants, Aby était un petit garçon turbulent et elle devait le surveiller de près. Très souvent, le petit Nathan restait chez sa grand-mère, Chaya Judith, qui vivait dans la Korte Van Ruusbroecstraat. En 1938, Nathan commence à suivre des cours à l'école Tachkemoni.
Moshe, Dora, Nathan et Albert Trom avant la guerre. Source famille Trom. Réfugiés dans le Sud de la France
Les nuages de la guerre s’amassaient à l’horizon. Moshe a intelligemment investi la majeure partie de son argent dans l'achat d'une voiture, au cas où ils auraient besoin de s'enfuir. Le matin du 10 mai 1940, tout le monde se réveille au bruit des moteurs d’avion rugissant dans le ciel. L'Allemagne avait attaqué les Pays-Bas, la Belgique, la France et le Luxembourg.
Moshe et sa famille se sont retrouvés dans la nouvelle voiture. Anvers elle-même était désormais devenue un objectif dans l'avancée de l'armée allemande. Le matin même, 37 avions larguent leurs bombes sur la ville : un hôpital militaire a été détruit ainsi que plusieurs bâtiments.
Régine et Perel Jahr (la sœur et la mère de Dora) les rejoignirent dans leur fuite. Le reste de la famille a choisi de rester sur place. Le père et le frère de Dora, Chaim Szie, ainsi que Maximilian Jahr furent malheureusement arrêtés et déportés à Auschwitz. La mère de Moshe, ses sœurs, son frère et son beau-frère ont également été déportés. Une seule sœur est revenue, mais elle est restée veuve avec deux jeunes enfants. La plupart de ses cousins ont également été arrêtés, disparus à jamais.
Moshe a conduit jusque dans le sud de la France (qui sera la « zone libre » à partir de l’Armistice de juin 1940 durant deux ans, et occupée par les Allemands à compter du 11 novembre 1942). En chemin, ils durent sortir de temps en temps et se cacher dans les fossés pour éviter les tirs allemands. Ils s'arrêtent finalement dans la ville de Castres. Comme eux, de nombreux Juifs de Belgique, de Hollande et du nord de la France, choisirent le département du Tarn comme refuge. On estime qu'environ 1 100 Juifs sont arrivés dans le Tarn en 1940. Des centres de secours ont été installés dans la ville de Castres, qui comptait même une petite communauté juive.
Le sermon de Mgr Saliège
Peu de temps après leur arrivée, Moshe a vendu leur voiture pour payer le logement et la nourriture. Comme tous les autres Juifs de la région, la famille Trom fut d'abord assignée à résidence et le resta pendant tout son séjour à Castres, jusqu'en août 1942.
Durant cette période, Régine fait la connaissance d'un jeune Français, René Calvairac. La famille était composée du père, Louis Calvairac (né à Vabre en 1878), de la mère, Louise (née Loup en 1880) et de leur fils René. Ils habitaient au 24, rue du Travet, à Castres, et étaient fabricants de bonneterie.
Avec le temps, René tombe amoureux de Régine et finit par l'épouser. Alors quand un arrêté d'expulsion est arrivé, la famille a accepté de cacher Régine et ses neveux. Les enfants furent autorisés à sortir de la maison, car les Calvairac avaient dit à tout le monde qu'il s'agissait d'enfants belges, réfugiés, que leurs parents avaient renvoyés de la zone occupée. Les garçons ont adopté de fausses identités, Aby est resté Albert, mais Nathan est devenu Jean. Régine, elle-même, se cachait complètement et ne fut jamais autorisée à quitter la maison.
Moshe et Dora doivent aussi chercher une cachette. Moshe adopte pour cela le nom de Charles, mais Dora garde le sien. Ils veulent trouver du travail chez des familles paysannes des environs pour pouvoir rester dans la région. Ils s'adressent au maire à ce sujet, qui leur dit de venir à l'office à l'église, le dimanche suivant, soit le 23 août 1942. A leur grande surprise, lorsque le prêtre prend place derrière la chaire, il lit le prêche que Jules Saliège, archevêque de Toulouse, a demandé à toutes les paroisses de son diocèse de lire et qui s'intitule « Et clamor Jerusalem ascendit ».
« Mes très chers Frères,
Il y a une morale chrétienne, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits, tiennent à la nature de l’homme. Ils viennent de Dieu. On peut les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer.
Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle.
Pourquoi le droit d’asile dans nos églises n’existe‐t‐il plus ?
Pourquoi sommes-nous des vaincus ?
Seigneur ayez pitié de nous.
Notre‐Dame, priez pour la France.
Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante ont eu lieu dans les camps de Noé et de Récébédou. Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos Frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier.
France, patrie bien aimée, France qui porte dans la conscience de tous tes enfants, la tradition du respect de la personne humaine. France chevaleresque et généreuse, je n’en doute pas, tu n’es pas responsable de ces horreurs.
Recevez mes chers Frères, l’assurance de mon respectueux dévouement. »
Jules‐Géraud Saliège, Archevêque de Toulouse
L'archevêque de Toulouse fut l'un des seuls parmi les cinq cents évêques qui condamnèrent les persécutions allemandes contre les Juifs. Il fut reconnu « Juste parmi les Nations » par Yad Vashem.Ce prêche fut certainement réconfortant pour la famille Trom. Et après le service, ils furent soulagés de voir un homme et une femme nommés Canonge se présenter et accepter de les cacher. Leur famille se composait du mari, Camille, de sa femme, Odette, et de leurs trois enfants : Michel, Jean-Claude (qui avaient à peu près le même âge que Nathan et Aby) et la petite Colette.
Dora devait aider Mme Canonge dans les tâches ménagères. Assez vite, les quatre garçons devinrent complices et étaient souvent occupés à jouer, à faire toutes sortes de bêtises ensemble. Moshe, quant à lui, réussit à trouver du travail chez un paysan du village de Trébas (à une heure de route), nommé Floutard.
Et comme les personnes âgées n'étaient pas concernées par l'arrêté de déportation, une petite cabane fut trouvée pour Perel, la mère de Dora, où elle resta jusqu'à la libération. Moshe ou Dora s'aventurait la nuit pour lui apporter de la nourriture de temps en temps.
Toute la famille s'installa ainsi dans une sorte de routine.
Un court séjour à Espère
Mais leur soulagement ne dura pas. Voilà qu’un jour, Aby (8 ans) jouait dehors, derrière la maison des Calvairac. Dans cette cour, se trouvait un puits partagé par plusieurs familles voisines pour arroser leur jardin.Aby et Nathan étaient occupés à jouer, actionnant la poignée, fascinés par la façon dont les roues du mécanisme tournaient avant que soudain, l'eau ne jaillisse. Aby était assis au bord du puits, les jambes en équilibre quand tout à coup, un faux mouvement coinça le pied de l’enfant dans le mécanisme. La douleur et la panique furent si vives qu’il se mit à hurler
Nathan (10 ans) fit de son mieux pour le libérer. Sa tante Régine sortit de sa cachette en courant, affolée. À ce moment-là, tous les voisins s’étaient rassemblés autour du puits. Régine fut soudainement exposée. Elle les a suppliés de ne rien révéler sur elle et les garçons.
Aby s’en sortit indemne, mais provoqués par la peur de l'incident, des boutons sont apparus sur son visage et ont mis du temps à disparaître. En racontant cette histoire, Aby ajoutait invariablement: « J'avais mis le pied là où je n'aurais pas dû », signifiant qu'à partir de ce jour-là, ils craignaient que quelqu'un ne les dénonce.
Face à ce nouveau danger, Moshe et Dora décidèrent de trouver une autre cachette pour les enfants.
Ils trouvèrent une institution juive à Espère, près de Cahors, à deux heures de Trébas. Cette « maison » avait été transférée de la région parisienne par une organisation juive appelée « l’Œuvre israélite des Séjours à la campagne », elle fut ensuite reprise par l'OSE - Œuvre de Secours aux Enfants, et resta opérationnelle jusqu'en décembre 1943. Albert et Nathan sont visibles sur une photo du livre « Le sauvetage des enfants juifs pendant l'occupation dans les maisons de l'OSE 1938-1945 », de Katy Hazan, page 155, (deuxième et troisième en partant de la gauche).
Mais les deux frères ne restèrent pas longtemps là-bas, car ils mouraient de faim. De temps en temps, en automne, ils étaient conduits dans les bois pour cueillir des châtaignes qui leur serviraient de repas.
Un jour, Aby a surpris des garçons plus âgés qui avaient volé des pommes de terre dans la cuisine et les faisaient rôtir dans la cheminée de leur chambre. Pour acheter son silence, les garçons plus âgés lui offrirent deux pommes de terre rôties.
Pendant tout son séjour dans cette institution, le petit Aby faisait pipi au lit. Et chaque matin, quand on le découvrait, il recevait une fessée pour cela.
Moshe et Dora les ont finalement fait sortir et une famille d'accueil a été trouvée.
Cette famille vivait à Preyssac, à deux heures au nord de Castres. Ils s'appelaient D., le père était électricien et la femme élevait des oies, ils n'avaient pas d'enfants. Chaque jour, la femme gavait les oies avec des plantes spéciales et, après le temps nécessaire, les volatiles étaient abattus pour produire du foie gras.
Là aussi, Aby faisait pipi au lit et recevait une fessée quotidienne. Mais là aussi, le destin s'en est mêlé, et leur séjour n'a pas duré. Une nuit, un furet est entré dans la basse-cour, massacrant et endommageant toutes les oies. Tout le troupeau était perdu. En conséquence, Mme D. est devenue gravement déprimée et Nathan et Aby ont dû partir.
Retour dans le Tarn, puis direction Toulouse
La famille suivante qui leur ouvrit ses portes vivait à Toulouse, à côté d'une fabrique de cartouches. Ils étaient protestants, comme les Canonge, et ils n'avaient pas non plus d'enfants. Leur nom a été oublié. Aby et Nathan étaient en même temps inscrits dans une école catholique dont le directeur, Bruno de Solages, était favorable à la cause de la Résistance. Dans cette famille, ils recevaient leur ration de pain une fois par semaine et devaient trouver un moyen de la faire durer jusqu'à la ration suivante.
Une petite fille y était également cachée, elle s'appelait Mimi. Lorsqu'elle recevait sa ration, la maîtresse de maison demandait :
« Que dites-vous? » Mimi répondait : « Merci », mais la femme lui rétorquait : « Merci, qui ? Merci, mon chien? » et elle la giflait. Mimi se corrigeait alors docilement : « Merci, madame ». Toutes ces familles n'étaient pas toujours bienveillantes envers les enfants, elles le faisaient surtout pour l'argent qu'elles recevaient en échange, ou pour l'aide supplémentaire qu'elles recevaient pour les tâches ménagères. Cela leur a permis de pouvoir « casser la croûte » dans les moments difficiles.
Nous sommes déjà en avril 1944. La guerre fait rage et les Britanniques décident de bombarder Toulouse qui abrite des usines d'avions travaillant pour les Allemands.
Dans la nuit du 5 avril, toute la famille et les enfants placés, Aby, Nathan et Mimi ont dû courir au sous-sol de la maison pour se mettre à l'abri. Le bombardement a duré 45 minutes. Il a fait 22 morts et 45 blessés. Le lendemain, Dora est revenue en panique les ramener chez les Canonge à Castres pour quelques jours, le temps de sécuriser une autre cachette.
Et enfin la Libération
Ils furent finalement transférés au hameau de Lascombes, non loin de Preyssac, où ils réussirent à rester jusqu'à la Libération.
Là-bas, Aby travaillait comme gardien de moutons et Nathan comme gardien de vaches. Ils avaient de la nourriture en abondance, car ces paysans (dont le nom a également été oublié) comptaient de solides provisions. Ils avaient des lapins et des poules. Et de temps en temps, le garçon de la maison, un jeune adulte, sortait dans les bois et attrapait des écureuils. Il aurait été réprimandé pour avoir tiré sur eux, en utilisant une cartouche, ce qui aurait été considéré comme un gaspillage. Pour éviter d’être rappelé à l’ordre, il cachait son trophée dans le tiroir de la table de la cuisine. Quelques jours plus tard, l’écureuil mort commençait à sentir mauvais. Ainsi, cela obligeait la famille de le cuisiner pour le repas : « Oh, il y a encore un écureuil ici ! »
Chaque soir, au dîner, chaque membre de la famille recevait une assiette de soupe avec du pain. Et pour le dessert, chacun retournait son assiette et recevait une portion de miel pour finir son pain. En conséquence, Aby a fini par détester le miel. Ce n'est que tardivement qu'il a recommencé à l'apprécier.
De nombreux résistants étaient actifs dans la région, luttant contre les Allemands. Beaucoup ont été exécutés ou déportés. En août 1944, les FFI du Tarn et les résistants du maquis de Vabre (constitué à 70 % de juifs) s'associent et parviennent à libérer Castres. Ils capturèrent 4 500 soldats allemands.
Après la guerre, Moshe et sa famille retournèrent à Anvers, mais ils restèrent toujours en contact avec la famille Canonge, leur envoyant de bons vœux pour la nouvelle année accompagnés d'une boîte de chocolats.
En 1956, en route pour des vacances en Espagne, Aby et ses parents s'arrêtèrent à Castres et Trébas pour les voir ainsi que M. Floutard pour qui Moshe avait travaillé.
Les Canonge leur ont également rendu visite à Anvers, lorsque les Trom vivaient dans la Steenbokstraat (avant 1957).
Un nouveau métier à Anvers
Après la guerre, Moshe fut très actif au sein de l’organisation caritative juive dénommée la Centrale Juive d’Anvers. Il a notamment contribué à l'organisation de séjours à la campagne à Kappelen Bos ou au bord de la mer à Wenduine, pour les jeunes orphelins juifs survivants de la guerre à Anvers. Sa nièce et son neveu, qui avaient perdu leur père, étaient parmi eux.
Mariage d'Albert et Fanny. Source famille Trom. Aby a rencontré sa future épouse, Fanny Knoll, née à Anvers le 1er décembre 1934, au sein du mouvement de jeunesse juive HaShomer Hatzayir, alors qu'il avait environ 14 ans. Ils partageaient les mêmes idéaux et avaient un passé très similaire. Fanny était elle-même une enfant cachée, réfugiée avec sa famille dans la région de Pau (une histoire à elle seule). Ils se comprenaient très bien. Ils se sont mariés le 17 février 1957.
Après la guerre, Moshe s’est lancé dans le commerce du diamant et a réussi à créer une petite entreprise prospère. Naturellement, Aby s'est lancé dans l'entreprise de son père à la fin de ses études scolaires. Et il a repris cette activité à son retour d'Israël. Ils ont travaillé ensemble jusqu'à la mort de Moshe en 1971. Et le fils d'Aby, Ouri, a également suivi cette voie et travaille encore aujourd'hui dans le commerce du diamant.
Aby et Fanny ont eu trois garçons : Ilan (1959), Danny (1963) et Ouri (1969). Ils ont huit petits-enfants.
Ilan est devenu agriculteur biologique et vit avec sa famille à Mount Barker, près de Denmark, en Australie occidentale.
Danny est chercheur au CNRS, il a écrit plusieurs ouvrages. Il vit à Paris avec sa famille.
Ouri a choisi de rester près de ses parents à Anvers après son mariage.
Des traumatismes enfouis
Aby a accepté facilement de retracer l’intégralité du récit de ses années de guerre en 2019, même s’il lui était déjà arrivé d’évoquer certaines anecdotes avant cela.
Il faut mentionner que la guerre l'a empêché de connaître sa grand-mère paternelle, ses oncles et tantes qui ont péri. Mais il semble qu’Aby n’ait jamais eu pleinement conscience de cette perte, qu’il en ait réellement souffert. Car son père, Moshe, ne lui en a jamais parlé. Ce deuil était trop énorme pour être accepté ! Moshe a préféré s’enfermer dans le silence.
Cela a créé une lacune abyssale dans la transmission de l'histoire familiale qui n'a été comblée que grâce aux cousins et à d’autres proches. Quand Aby a vu des photos de ses oncles et tantes pour la première fois, il y a une vingtaine d’années, il ne les a pas reconnus, il ne savait pas qui ils étaient. La seule famille qu'il connaissait était composée de ses parents maternels qui avaient survécu et de quelques cousins.
On peut aussi affirmer rétrospectivement que le traumatisme de ces années de guerre l'a rattrapé dans sa vieillesse. Il a souffert des maladies d'Alzheimer et de Parkinson durant ses deux dernières années qui ont été particulièrement difficiles.
Le fait qu'il se soit retrouvé pendant de longues périodes sans ses parents, sans la présence réconfortante d'un adulte, et qu'il ait été confié à de nombreuses personnes différentes, pas toujours bienveillantes ni rassurantes, s'est ajouté au fait qu'il ne savait pas si ses parents étaient encore en vie. Cela s’est manifesté par des troubles constants d’énurésie tout au long de ses années de clandestinité. Ce qui explique également pourquoi la préoccupation principale d'Albert à l’âge adulte fut d’assurer la stabilité et le confort de sa famille.
Aby est décédé le 3 mars 2024. C'était un homme charmant, plein d'humour et d'esprit. Il s’intéressait à l’Histoire, aimait l'opéra et jouait régulièrement à la belote avec ses copains après le travail. C’était également un bon joueur de tennis, jusque dans ses 80 ans. Aby était un grand-père attentionné, aimé de tous ses petits-enfants.
Nathan, le frère ainé d’Aby, vit toujours en Israël avec sa famille : sa femme, Myriam, son fils, Rami, et ses deux filles, Dahlia et Mihal. Il a également huit petits-enfants.
Texte : Géraldine Trom, belle-fille d'Aby. Tous droits réservés (texte et photos).