Les enfants Zwirn

 

Simone Zwirn, née à Anvers le 29 juin 1931.

Willy Zwirn, né à Anvers le 2 mars 1936, décédé à Vista del Mar en Californie le 3 février 2008.

Quand nous découvrons les nom et prénoms de ces enfants dans la liste des « effectifs » présents à Espère en octobre 1943, nous ne nous doutons pas que nous allons être confrontés à une énigme qu’il faudra plusieurs mois à résoudre. Alors que la clef était pourtant à notre disposition depuis le début de nos recherches, ou presque.

Chronologiquement, comme nous avons le réflexe de le faire depuis le début de cette entreprise, tout démarre quand nous tapons le nom « Zwirn » et le prénom « Willy » dans la base de recherches du Mémorial de la Shoah (celui de Paris). Quel n’est pas notre désarroi alors de constater qu’un petit Willy Zwirn (né en 1936 à Anvers) est mentionné comme ayant été déporté de France vers Auschwitz en 1942 !

Mais quelques clics plus tard, une autre base, celle de l’US Memorial, nous informe que Willy Zwin (né à Anvers en 1936) est noté comme ayant survécu, et qu’il a même témoigné auprès de la Fondation de Los Angeles (1). Nous nous procurerons ensuite copie de cet entretien enregistré en 1998.

Mais alors ?

Il faudrait, pensâmes-nous alors, un sacré hasard, funeste ou non, pour que deux Willy Zwirn virent le jour à Anvers la même année ! Et pourtant c’était le cas. Ils étaient du reste cousins germains… Leurs pères étaient frères. Ils suivirent avec leur famille le même chemin. Et puis…

Mais revenons au point de départ. Anvers. Belgique.

Schya Zwirn, né le 3 mars 1901 à Lipnica (Pologne), est l'époux de Kreindel (Clara en français), née le 4 novembre 1902 à Domaratz (Ukraine). Tous deux émigrés en Belgique dans les années 1920 y ont deux enfants :  Simone (née en 1931) et Willy (né le 2 mars 1936).

Salomon Zwirn, né le 19 novembre 1908 à Lipnica Dolna (Pologne), est l’époux de Rosa Zwirn, née Muller le 17 août 1905 à Turek (Pologne). Etablis en Belgique également, dans la même ville d’Anvers, ils y ont un fils, Willy. Né le 27 juin 1936.

Les deux familles sont donc composées de parents étrangers mais d’enfants nés en Belgique. C’est à l’été 1942 qu’elles décident de passer en France et de descendre en train en direction de Marseille, dans l’espoir de pouvoir alors trouver un bateau et gagner une destination où leurs vies ne seraient plus en danger… Ou de rejoindre l’Espagne ? En l‘espèce, une fiche du Camp des Milles indique que lors de leur arrestation, des formalités étaient en cours auprès du consulat des Etats-Unis à Barcelone.

Willy et Simone en 1940. Photo USCH Shoah Foundation.

Car effectivement, après avoir pourtant passé la ligne de démarcation, leur train stationnant en garde Tarascon, un inspecteur des Renseignements généraux procède à leur interpellation.

Après un passage au Camp des Milles, les deux pères sont transférés à l’hôtel Bompard, à Marseille. Et les deux mères avec les enfants sont dirigées au camp de Rivesaltes.

Le drame se noue…

Une longue attente et la parole se libère

Californie, début des années 1990. Willy Zwirn aborde la dernière ligne droite d’une carrière professionnelle exemplaire et d’une vie de famille épanouie. Un soir, toutefois, tout bascule à nouveau. Il croise sa petite-fille qui rentre de l’école. « Papy, la maîtresse nous a demandé de préparer un exposé sur l’un de nos grands-parents. J’ai pensé à toi. » Un simple exercice imagine sans doute l’enseignante. Et peut-être que ce soir-là, Willy dans un premier temps pense se prêter au jeu en livrant quelques phrases.

Mais la mémoire et la psychologie, c’est un mécanisme complexe. Ce soir-là, Willy, pour la première fois, va tout raconter. Tout. Dix fois, cent fois plus que nécessaire pour un simple exposé d’école primaire. Des décennies après, le poids énorme des douleurs et des blessures de l’enfance est percé à jour.

« Pendant très longtemps, je n’avais pas ressenti le besoin d’évoquer mon enfance et en particulier les années de guerre. Notamment à mes enfants. Ils m’ont parfois posé une ou deux questions. J’ai répondu sans m’étendre sur le sujet. Et puis il y a eu ce déclic » expliquera Willy. « Alors, ce jour-là, je lui ai montré quelques photos d’enfance, je lui ai parlé de ce qui était arrivé à mes parents. »

Et désormais, il est trop tard pour reculer. Certes, durant sa vie d’adulte, Willy avait bien croisé de temps à autre d’anciens enfants ayant comme lui survécu, séparés de leurs parents, cachés. Mais cela ne l’avait pas empêché de poursuivre son chemin. Comme si de rien n’était ou presque.

Trois pèlerinages mémoriels en France

Mais cette fois, sans doute quelque mécanisme psychologique intime empêchait qu’il en fût de même. Il fallait parler, il fallait transmettre, et dans un premier temps, il fallait commencer par se « repencher » avec précision sur sa propre histoire. « J’ai fini par écrire au siège de l’OSE à Paris en 1994 et j’ai reçu en retour un courrier détaillant quel avait été mon parcours en France durant la guerre. Et dès 1995, je me suis rendu en France. A Paris, au siège de l’OSE, j’ai pu avoir en main mon dossier. C’était très émouvant. Y compris la petite photo d’identité, en première page. Je n’arrivais plus à parler… » Le document comprend des éléments d’état-civil, des notes médicales, et, chronologiquement, les différents lieux où l’enfant – le plus souvent avec sa sœur – a  séjourné. Ainsi, le pèlerinage mémoriel peut débuter.

« Avec mon épouse, nous avons commencé ce périple par Canet Plage. On n’avait pas d’adresse exacte (du lieu où j’avais été hébergé). Après un contact à l’office de tourisme puis à la mairie, par chance, une étudiante qui avait séjourné au Texas a pu nous indiquer l’immeuble. C’est devenu une clinique spécialisée en ophtalmologie. Donnant directement sur la plage…

Willy Zwirn : comme pour beaucoup d'enfants, il aura fallu du temps pour que la parole se libère. Photo USC Shoah Foundation.

Puis nous avons rejoint Rivesaltes. Cette fois, ce fut plus aisé à trouver. Une grande base militaire. Protégée par des fils barbelés... Je ne peux pas dire, une fois sur place, que je me suis souvenu de quoi que ce soit. C’était très étrange, il y avait par ailleurs ce jour-là des nuages noirs… J’ai pris des photos, et j’ai voulu ramasser des cailloux, des petits objets métalliques qui jonchaient le sol, à l’extérieur. » L’ancien camp avait été rasé, ne demeuraient qu’un étrange mélange de terre, de verre, de bois, de métal, concassé, compacté, mais pourtant : quand il ramasse un peu cette poussière hétérogène, Willy, la voix étreinte par l’émotion, dit avoir l’impression de tenir un peu des cendres de sa mère...

« L’étape suivante, ce fut Vernet-les-Bains, en montagne, juste à la frontière espagnole. L’OSE avait sollicité quelqu’un (un élu je présume) pour nous accueillir. Nous avons effectué un tour du village, où j’avais été caché dans une famille. J’ai rencontré des personnes d’une soixantainee d’années, je leur ai demandé si, à l’époque, alors qu’il étaient écoliers, ils ne se souvenaient pas d’enfants ayant été scolarisés quelque temps parmi eux. Puis un détail m’est revenu : dans cette famille, il y avait un aîné qui était sourd. On a fait le tour des hôtels, demandant s’il y restait des registres de cette période. Mais rien. Aucun détail, aucune trace. »

Le couple Zwirn reprend alors la route. Direction la Savoie, sans passer par Espère. Arrivés à La Chaumière (commune de Saint-Paul en Chablais), à la frontière avec la Suisse, ils constatent que les constructions récentes ont métamorphosé les lieux. « L’environnement avait tellement changé que je n’aurais rien pu reconnaître. Par chance, on a croisé deux femmes dans la rue qui nous ont dit vivre là depuis toujours. Nous avons ri : l’une d’elles a alors raconté avoir passé sa lune de miel dans l’établissement qui devint l’année suivant un home d’enfants… où nous avons été accueillis en 44 ! De cette période, j’ai quelques souvenirs. Je me rappelle de prés, de chèvres, et j’ai conservé une photo de ma sœur effectivement, à côté d’un un animal de la ferme… »

Cette même année 1995, Willy et son épouse effectuent un second voyage en France : à l’occasion du 50e anniversaire de la fin de la guerre, un rassemblement d’anciens enfants cachés et sauvés est organisé. « C’était à deux heures de route du château du Masgelier, et c’est la première fois que je reconnaissais vraiment un lieu où j’avais été hébergé. Le déclic, ce fut ces marches d’escalier qui s’achèvent de part et d’autre par une forme d’arrondi. Nous avons été bien accueillis par le nouveau propriétaire, qui conserve la mémoire du lieu, pour ce qui concerne évidemment la période de la guerre… » Et en 1996, troisième séjour. Une autre réunion d’anciens se déroule au château de Chaumont. « J’ai été sensible que les autorités aient apposé des plaques : les visiteurs doivent savoir. Ce qui s’est passé ici est donc reconnu. Ineffaçable. »

Des contingences matérielles empêchent hélas Willy de « pousser » jusqu’en Ardèche. Il y avait été placé dans une famille, sans sa sœur. 

Une enfance « hors du cours normal des choses »

Quand il se remémore quelques années plus tard ces différents retours en France, sur les traces de son enfance, Willy Zwirn, avec le recul, analyse les faits avec une réelle justesse.

« Avoir refait ces parcours, en France, était important. Même si, en échangeant avec les enfants [qui comme moi avaient été pris en charge par l’OSE d’un lieu à l’autre durant deux ans voire davantage], un demi-siècle plus tard, on a compris qu’évidemment, les perceptions variaient selon nos âges. Ceux qui avaient de 9 à 11 ans à l’époque, voire plus, eux, ils avaient conservé des souvenirs précis. Pour les plus jeunes, comme moi, difficile de dire qu’on se rappelait de tout cela avec précision, loin s’en faut. Encore qu’il y a des exceptions : j’ai aussi rencontré un enfant né en 1936, comme moi, qui lui, dans les années 90, se souvenait de tout. Mais c’est un cas isolé ! »

Willy en Haute-Savoie avant son passage en Suisse. Photo USC Shoah Foundation.

Pour autant, de Rivesaltes à la Suisse en passant par le Lot et la Creuse, l’enfant d’Anvers n’était pas sans percevoir que son enfance était singulière. Un euphémisme. « Je n’avais pas forcément conscience, il me semble, que c’était la guerre. Mais après avoir été séparé de mes parents, je savais bien intimement cependant qu’il se passait quelque chose d’anormal, que ce n’était pas le cours logique de ce qui aurait dû être mon enfance. »

Un après-guerre tout aussi douloureux

La Libération ? Willy se souvient de convois militaires, de Jeep… « Mais je dis cela aujourd’hui : ai-je bien compris alors que c’était la fin de la guerre ? » sourit presque le sexagénaire quand il témoigne des décennies plus tard. Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, sa guerre à lui n’est pas finie. Une fois les troupes nazies battant retraite, avec sa sœur, il reçoit un colis d’un oncle (un frère de sa mère) qui avait émigré en Amérique avant la guerre. Il avait pris contact avec l’OSE pour savoir où étaient les enfants. Quelque temps plus tard, une autre nouvelle d’ampleur : les camps de la mort libérés, à l’été 1945, son oncle Salomon (le papa de son cousin Willy né lui aussi en 36) rentre d’Auschwitz et rejoint Anvers. Avec sa sœur Simone, Willy va alors également retrouver sa ville natale… Le gamin n’a pas encore dix ans, mais il est confronté à deux questions essentielles : la première, évidemment concerne ses parents. « Qu’étaient-ils devenus ? Les mois passaient, ils ne rentraient pas. Et puismon oncle a fini par nous raconter que dans les derniers jours, dans le camp, il avait supplié mon père de feindre d’être malade, car les Russes arrivaient. Mon père n’a pas pu, pas su ou pas voulu. Alors, les déportés qui étaient encore valides ont été déplacés, ce fut une  longue  marche  vers un autre camp… Mon père est mort pendant ce transfert. Ma mère, je pense qu’elle était décédée bien plus tôt. Cela étant, il y a eu une longue période de déni, il se disait que certains déportés avaient été pris en charge par les Russes, envoyés en Russie d’où ils reviendraient. On s’accrocha longtemps à cet espoir. Et puis un jour, on a fini par ne plus espérer. »

La seconde question était liée à son propre devenir. « A  Anvers, mon oncle était trait très traumatisé. Ma sœur avait 15 ans. Elle a rencontré des membres d’une association juive qui lui ont proposé de rejoindre Israël. Elle a été en stage dans une sorte de camp d’entraînement et puis elle est partie. Moi, j’allais à l’école. Mon oncle s’est remarié et sa nouvelle épouse avait un enfant d’un premier mariage : ce n’était pas facile. En 1951, mon oncle maternel est venu à Bruxelles, il a proposé que je le rejoigne aux États-Unis si je le souhaitais. J’ai accepté et quelques semaines plus tard, j’ai pris un bateau qui partait d’Amsterdam, faisait escale en Angleterre avant de rallier New-York. »

Après avoir repris un cursus scolaire à New-York, Willy s’installe en Californie et après quelques petits boulots, intègre l’UCLA (Université de Los Angeles). Diplômé en 1959, l’ancien gamin d’Anvers initie sa carrière professionnelle comme éclairagiste dans une chaîne de télé locale. Il fonde ensuite une entreprise. Il expliquera dans son témoignage à la Fondation : « Je n’ai jamais ressenti ou a fortiori été victime d’antisémitisme. Certains collègues ou amis m’ont dit parfois avoir entendu des réflexions, ressenti une sorte de discrimination mais très honnêtement, ce n’est pas mon cas. »

Le devoir de transmettre

Ces extraits encore de l’entretien donné par Willy Zwirn à la Fondation de Los Angeles.

« La religion, mon identité juive ? Je ne suis pas très pratiquant, mais pour les fêtes principales, on marque le coup. Mon père ne l’était pas beaucoup plus non plus. Pour autant, je n’ai pas de problème avec mon identité juive. Elle constitue une part de qui je suis et de ce que je transmets. C’est tout. »

« Une dernière chose ? Je voudrais redire à quel point j’aimerais retrouver la famille qui m’accueillit en France comme enfant caché en 43 ou 44. Même s’ils ne sont plus là, que leurs enfants sachent. Et d’une manière générale,  je voudrais dire à celles et ceux qui ont agi pour nous prendre en charge et nous sauver toute ma reconnaissance. Furent-ils payés pour cela, cela n’a rien à voir avec les risques qu’ils prirent et le courage qui fut le leur. Et je ne sais pas si moi-même, j’aurais agi de la sorte ! Avant d’arriver à La Chaumière, j’ai vécu dans une famille de fermiers. Voilà un souvenir : ils avaient aussi recueilli un parachutiste, qui se cachait dans la grange. Il a dormi une nuit, ce devait être un Britannique ou un Américain, il était armé. Oui, à ce couple de fermiers, j’aurais voulu dire merci. Je me souviens qu’elle était enceinte, et que du coup, elle a dormi quelque temps dans le lit qu’on m’avait laissé, sans doute plus confortable pour elle. Il y avait des prés, des vaches, il y avait ces gens formidables… Je crois que c’était dans la Creuse. Comment dire autre chose : ceux qui nous ont accueillis, cachés, sauvés, ont réalisé quelque chose d’extraordinaire. Lors d’une réunion avec d’autres personnes ayant été sauvées par le réseau de l’OSE, on a un jour abordé ce sujet : en face de ces gens, que leur dire ? Mais c’est vrai, franchement, aurais-je pu, aurais-je eu ce même courage de mettre ma famille en danger ? Ils étaient humbles, ils n’avaient pas une vie aisée. Ils l’ont fait. Ils m’ont accueilli, ils m’ont sauvé. »

Le témoignage de Simone

La sœur aînée de Willy, Simone, qui s’est établie en Israël, a livré pour sa part un témoignage audio (en hébreu) auprès du Centre Yad Vashem de Jérusalem. Elle y est présentée comme Shula Simone (Tzviren) Weksler (Simone Zwirn épouse Weksler ou Veksler), née à Anvers, Belgique, en 1931.

Son récit est logiquement proche de celui son frère cadet. On y apprend cependant que dès le début de la guerre, le couple Zwirn et ses enfants ont rejoint la France et se sont établis près de Dunkerque. Les événements de mai 1940 qui aboutissent à la « Poche de Dunkerque » les conduisent à revenir à Anvers. La communauté juive y est persécutée par l’Occupant. Se succèdent perquisitions, destructions des biens, instauration d’un couvre-feu et l’obligation de porter un insigne distinctif… Simone mentionne l’envoi, par la famille de sa mère établie aux Etats-Unis, de visas devant permettre d’émigrer en Amérique. Mais munie de faux-papiers, en 1942, c’est de nouveau vers la France que la famille se dirige d’abord à Paris, puis prend le train en direction du sud…

Simone explique elle aussi l’arrestation puis la détention, la surveillance de la police, puis les conditions d’internement difficiles au Camp des Milles puis à Rivesaltes. Elle raconte l’intervention de travailleurs sociaux de la Croix-Rouge et ensuite, alors que ses parents sont rapidement déportés, faisant partie « d’un groupe d’enfants non déportés », les différents séjours dans les maisons de l’OSE. Elle se souvient de quelques noms de lieux (Canet, Mageslier, Vernet). Et qu’alors, avec son frère, ils se nomment pour un temps Simone et Louis Verbet. Simone se souvient également avoir été cachée dans une ferme dont les agriculteurs, modestes, coopèrent avec le Maquis, et perçoivent une aide financière de l’OSE.

Les enfants Zwirn en 1949, en Belgique. Photo USC Shoah Foundation.

C’est ensuite lors du séjour à La Chaumière qu’elle rencontre de jeunes « soldats » qui lui enseignent quelques éléments relatifs au judaïsme et au sionisme… Pourtant, elle rejoint Anvers et elle est prise en charge par son oncle Solomon, revenu d’Auschwitz. C’est dans cette ville, finalement, après avoir retrouvé des jeunes partisans d’une émigration en Israël – qui n’est pas alors reconnu - qu’elle prend la décision de partir… En dépit des objectifs de sa famille, elle embarque (à une date non précisée) sur le paquebot Theodor Herz. L’arrivée est mouvementée, et c’est un euphémisme. Près de Tel-Aviv, le groupe dont elle fait partie est interpellé (vraisemblablement par des troupes britanniques, la Grande-Bretagne ayant encore mandat sur la Palestine). Des coups de feu et sans doute des morts sont à déplorer.

En 2008, Simone est mentionnée dans la nécrologie parue dans Los Angeles Times qui rend hommage à son frère Willy et fait état de la peine de son épouse, de ses enfants et petits-enfants. Le même journal précise que Willy s’était en outre beaucoup investi dans des œuvres de bienfaisance.

Les héros et les salauds 

Nous ne sommes pas les premiers à avoir été troublés par l’homonymie des cousins Willy Zwirn. Nous en tirons une leçon : demeurer toujours vigilant.

Même les héros, les vrais, peuvent commettre une erreur. Pour des raisons qui tiennent sans doute, outre l’homonymie en question, à la difficulté à rassembler les pièces et documents (et parfois fallait-il qu’ils soient en « bon état »), qui ont été la base, la matière première de son œuvre immense et fondatrice (Le Mémorial des Juifs de France), la confusion a été commise par Serge Klarsfeld. Elle sera reprise ensuite dans les fiches disponibles en ligne sur le site du Mémorial de Paris. Puis, plus récemment, même les services du gouvernement, se fiant aux données dudit Mémorial ont reproduit l’erreur (un arrêté de 2016 mentionne les enfants, y compris Simone, « morts en déportation et donc morts pour la France » (2).

Très simplement, l’erreur fut la suivante : vraisemblablement parce que nul n’imaginait la possibilité que deux Willy Zwirn fussent nés à Anvers en 1936, sont mentionnés dans le Mémorial comme déportés Schya et Clara Zwirn et leurs enfants Simone et Willy, et le couple Salomon et Rosa Zwirn.

Pourtant, dès 1956, en Belgique, dans un acte d’état-civil, l’enfant Willy Zwirn ayant été déporté est bien noté comme fils de Salomon et Rosa.

Et dans les années 1990 et 2000, auprès du centre Yad Vashem de Jérusalem, les fiches de renseignements remplies par Willy (né en mars) et sa sœur établissent la bonne version. Il n’y a pas eu hélas de communication entre les différentes institutions.

Une excuse est à avancer : dans notre travail, consacré à la Maison d’Espère, nous avons pu constater que les dates de naissance des enfants ayant séjourné fluctuaient : parfois, à cause d’une mauvaise transcription, d’une confusion, voire d’une absence de papiers officiels… Quand certains ne sont pas déclarés nés à la date... de leur « baptême ».

Mais qu’est-ce qu’une erreur dans un travail, comme celui de Serge Klarsfeld et de ceux qui l’ont aidé et pris sa suite, dans un recensement de dizaines, centaines de milliers de personnes… C’est regrettable, hélas, mais explicables. Mais des salauds, le mot n’est pas trop fort, y ont vu une aubaine. Oubliant de consulter d’autres sources, ils ont saisi cette opportunité pour pointer une volonté délibérée de la part des historiens de « gonfler » les chiffres des victimes de la Shoah, multipliant les conjectures abjectes et les explications alambiquées. Avec stupéfaction et consternation, nous avons constaté que ces révisionnistes ont mis en ligne sur Internet, se présentant abusivement comme chercheurs, toute une théorie à propos et à  partir du « cas » Willy Zwirn. La bête n’est pas morte…

 

(1) USC Shoah Foundation Institute (Etats-Unis).

(2) Arrêté du 8 janvier 2016. Voir le site legifrance.gouv.fr