Les enfants Wajsberg
Rose Wajsberg, née le 16 août 1932 à Metz, décédée le 13 janvier 2022.
Joseph Wajsberg, né le 9 septembre 1934 à Metz, décédé le 27 septembre 2022.
Lina Wajsberg, née le 19 août 1936 à Metz.
Les trois aînés ont été accueillis en 1943 à la Maison d’Espère. La benjamine (Sabine Wajsberg, née le 13 avril 1940 sur l’île d’Oléron et décédée le 12 février 2022) est restée à l’époque, de 1942 à 1944, auprès d’un oncle et d’une tante, cachés ou en tout cas vivant clandestinement dans le quart sud-ouest de la France.
Tous quatre étaient toujours en vie quand ce travail fut initié. Toujours en vie, toujours témoins, toujours là pour dire l’ignominie nazie qui a conduit à l’arrestation puis à la déportation et à l’assassinat de leurs parents Israël et Ida, à Auschwitz, en novembre 1942. Et dire aussi quel fut ensuite leur douloureux chemin pour survivre, puis se construire et vivre le plus normalement possible.
Cependant, seul Joseph accepte de témoigner publiquement (1). Quand nous le joignons par téléphone au début de l’année 2021, près de Metz où il réside toujours, il regrette de ne pouvoir nous livrer le moindre souvenir quant à un séjour, durant la guerre, à Espère. Il sollicitera ses sœurs, et elles non plus, diront n’avoir pas en mémoire les quelques mois passés dans le Lot.
Joseph finira par convenir que peut-être, lui revient « l’image d’une grande maison avec un grand jardin ». C’est à la fois peu et beaucoup. Ce n’est factuellement pas faux : le domaine où fut hébergée la Maison de l’OSÉ se révèle un vaste ensemble de bâtiments (une ancienne gentilhommière et ses communs) que jouxtent pelouses et jardins (massifs de fleurs, potager, verger). Et la formule presque puérile de l’octogénaire, plus de 75 ans plus tard, a quelque chose d’émouvant : s’il ne se souvient même vaguement que d’une grande maison et d’un grand jardin, c’est sans doute que la parenthèse lotoise des enfants Wajsberg fut sereine sinon heureuse, précédée puis suivie de moments autrement tragiques…

D’ailleurs, au début de notre conversation, en 2021, Joseph explique simplement : « J’étais un enfant. Au fond, je n’ai réellement que deux souvenirs très précis de ces années de guerre. Le premier, c’est quand nous avons dit au-revoir à nos parents. Je pense pouvoir affirmer que nous étions parfaitement conscients que nous ne les reverrions jamais. Le second, c’est le jour où j’ai passé la frontière suisse, avec d’autres enfants. Certaines nuits, je me réveille encore en sursaut, j’étais en train de rêver encore et encore que je courais à perdre haleine avant de m’affaler dans la neige. Enfin libre... »
Avant la guerre
Au dernier recensement de l’entre-deux-guerres, en 1936, Metz, sans sa périphérie, compte un peu plus de 83 000 habitants. C’est dans la capitale de la Moselle, qui a déjà payé un lourd tribut au pangermanisme, annexée par les Allemands de 1870 à 1918, que les parents Wajsberg s’installent au tournant des années 1930. Ils arrivent de Pologne et ne sont pas naturalisés. Israël, le père, né le 18 mai 1906 à Radmskie et Ida, son épouse, née le 2 juillet 1904 à Jasien (Pologne), ont rejoint en Lorraine un frère et une sœur d’Israël, qui également avaient souhaité fuir, en quelque sorte, une situation économique précaire.

De fait, Israël s’établit comme tailleur au 20, en Fournirue, une rue très commerçante du centre historique, à proximité de la cathédrale. Joseph se souvient que l’atelier était intégré dans le logement. La machine à coudre avait été installée près de la fenêtre, sans doute pour bénéficier d’une meilleure luminosité.
De cette prime enfance, Joseph a encore en mémoire des images de l’école maternelle publique, des promenades dominicales sur la grande place dite de l’Esplanade, et d’un grand jardin, à proximité, où ses parents retrouvent des amis. Une vie modeste mais qui semble heureuse. Au fur et à mesure que le cercle des enfants s’agrandit… Sur le plan religieux, le foyer fréquente la synagogue lors des fêtes traditionnelles mais Joseph, plus de 70 ans plus tard, ne pense pas que l’on mangeait casher.
L’exode de 1939
Le premier grand tournant de la vie des enfants Wajsberg intervient dès la déclaration de guerre en septembre 1939. En effet, pour les populations civiles françaises frontalières qui demeurent à proximité de la Ligne Maginot (en Alsace, en Moselle et même dans la Meuse), les autorités encouragent un transfert pour leur éviter d’être en première ligne si l’on ose dire, lors des combats à venir. Personne n’a imaginé alors que c’est au nord, par la percée de Sedan, que l’armée hitlérienne va attaquer en mai 1940… Stricto sensu, Metz n’est pas concernée par cet ordre d’évacuation. Pourtant, un train entier de familles juives décide de partir. Et des centaines de familles non juives également.
Les régions d’accueil prévues : les actuels départements de la Charente, de la Charente-Maritime et de la Vienne, d’une part, mais aussi, plus spécifiquement pour les mineurs de profession, le Pas-de-Calais, la Loire et la Saône-et-Loire riches en bassins houillers.

Du départ de Metz, un seul détail a marqué l’enfant : les masques à gaz accrochés le long du souterrain de la gare, imposant bâtiment en pierres sombres qui date de l’annexion.
Au terme du voyage, la famille s’installe à Saint-Denis d’Oléron, village localisé au nord de l’île, devenu aujourd’hui une station balnéaire prisée. Les enfants qui n’ont jamais connu que la vie en ville sont surpris d’emménager dans une maison assez vaste et surtout dotée d’un jardin où se dresse un arbre comme ils n’en ont jamais vu : un figuier. Le père cultive le potager et perçoit un pécule versé par l’administration. On pourrait presque évoquer une parenthèse heureuse en Charente-Maritime, d’autant qu’un quatrième enfant vient bientôt égayer cet exil forcé, en 1940 : elle s’appelle Sabine. Un rayon de soleil avant la nuit. Mais comment imaginer alors l’inimaginable ?
A une date inconnue, la famille déménage, quitte le littoral et s’installe à Saint-Michel-de-Rivière, une localité désormais intégrée à la commune de La Roche-Chalais, en Dordogne. Là, les trois enfants les plus âgés sont scolarisés, et leur père Israël a trouvé du travail comme maçon, selon Joseph. « Le seul emploi qu’il ait pu décrocher... »
La rafle d’Angoulême
Tout bascule le 8 octobre 1942. Un jeudi. Au petit matin, des gendarmes français frappent à la porte et cernent la maison où résident les Wajsberg. Les parents comprennent immédiatement. « Ma mère a suggéré que mon père se sauve par la porte arrière, avec moi. Mais il a refusé... » se rappelle Joseph. Les deux adultes et les quatre enfants doivent se hisser dans un camion. Avec comme seul bagage une valise. On leur a dit que c’était tout ce qu’ils avaient le droit d’emporter.
Comme des centaines d’autres Juifs étrangers, les Wajsberg sont conduits à Angoulême où ils sont « enfermés » dans la grande salle de la Philharmonie : l’occupant nazi a ordonné et fait appliquer par des fonctionnaires français, le 8 octobre 1942, ce que l’on appellera ensuite la rafle d’Angoulême, voire le « Vél' d'Hiv d’Angoulême ».
Au total, 422 Juifs, hommes, femmes, enfants, ont été arrêtés. Pour la très grande majorité, des familles établies en Moselle qu’ils avaient quittée en 1939. 389 d’entre-eux dont 85 enfants seront déportés vers les Camps de la Mort via Drancy. Parmi eux, Israël et Ida Wajsberg qui furent du convoi 40 du 4 novembre 1942 à destination d’Auschwitz.

Il faudra attendre plusieurs décennies pour que cette tragédie soit complètement documentée grâce à des recherches et la collecte de nombreux témoignages menées par des historiens non professionnels mais rigoureux (2). Et depuis le 8 octobre 2012, les noms et dates de naissance des victimes de cette rafle sont inscrits sur une plaque commémorative sur les lieux mêmes de la tragédie.
Dans cette salle de spectacle, l’espace de quelques jours et quelques nuits, dans des conditions d’hygiène déplorables (il n’y a que deux WC) et la plupart des internés de tous âges doivent se reposer sur de la paille, en dépit de l’aide apportée par des organisations et des voisins de bonne volonté (de quoi manger essentiellement, et du lait pour les nourrissons et les plus jeunes), se joue très vite un second drame. La police allemande, en première ligne cette fois, commence par saisir les objets de valeur. Puis, ordre est donné de séparer les enfants de nationalité française de leurs parents étrangers, ou désormais considérés comme tels en raison des décrets annulant certaines naturalisations.
Joseph, en 2021, se souvient alors de la scène déchirante, affreuse : « Nous leur avons dit au-revoir… »
Des orphelins ballottés
Quand ils quittent la salle devenue un chaos, et pour des centaines d’internés, une forme d’antichambre de la mort, les enfants Wajsberg sont rapidement pris en charge et placés dans des institutions catholiques.

Les trois sœurs intègrent ainsi l’orphelinat catholique du Bon Pasteur, situé rue de Paris à Angoulême. Elles y côtoient une quinzaine d’autres jeunes filles, lorraines et juives, sauvées de la rafle. Parmi elles, Charlotte Schuhmann (1931-1944), originaire de Metz, dont l’itinéraire précis durant ces années a été récemment mis au jour par des lycéens messins dans le cadre du projet Convoi 77 à bord duquel la malheureuse fut finalement déportée vers Auschwitz (3).
Comme d’autres garçons, Joseph est pour sa part accueilli dans une autre institution. Là encore avec d’autres enfants lorrains. Prosélytisme ou volonté de cacher la réelle origine de ces nouveaux pensionnaires de la part des religieux (encore que dans le microcosme d’une ville de province, après un tel événement comme cette rafle, c’eût été illusoire) ? Toujours est-il que l’éducation reçue est chrétienne : « Je faisais comme tout le monde. Avant ou après l’école, je servais la messe et j’apprenais des prières... » explique Joseph. Qui ajoute : « J’ai revu bien plus tard un enfant plus âgé qui avait lui aussi intégré ce pensionnat. Mais s’il se souvenait de moi, ce n’était pas réciproque (4). » Comme si, à l’image des mois passés ensuite à Espère, des pans entiers de ces parts d’enfance volées avaient été enfouis.
A l’inverse des autres enfants rescapés de la rafle, qui seront cachés dans des familles ou des institutions et dirigés pour beaucoup vers la région parisienne, les enfants Wajsberg suivent un autre parcours. A la mi-décembre 1942 (5), leur cousin Maurice Wajsberg, étudiant en médecine « replié » à Poitiers vient les chercher à Angoulême et les conduit à Limoges, chez ses parents (oncle et tante de Joseph et ses sœurs). Les informations liées à la rafle et à ses conséquences ont circulé au sein de la diaspora lorraine réfugiée dans le sud-ouest de la France. Nombre de récits en attestent. Mais comment précisément Maurice Wajsberg et ses parents ont-ils su où étaient les enfants bientôt orphelins ? Israël et Ida ont-il pu envoyer quelque message depuis Drancy par exemple ? Saura-t-on jamais ?
Une fois à Limoges, en zone libre jusqu’en novembre 1942, désormais occupée depuis peu, les enfants n’y resteront pas longtemps. Joseph a conservé quelques images : à leur arrivée, ayant voyagé durant la nuit en chemin de fer, ils doivent se terrer sous des wagons alors que des bombardements alliés frappent la ville. Et surtout, leur oncle a décidé de déménager. Furieux hasard, la maison où il avait élu domicile avec les siens est désormais voisine de la Kommandantur. Un point de chute est trouvé : tout le monde gagne bientôt Castillonnès, une commune de 1300 habitants dans le nord du Lot-et-Garonne, où s’est installée la sœur d’Israël. Selon les Archives de ce département, aucun recensement, aucun document ne fait état de la présence en cette période d’adultes ou d’enfants nommés Wajsberg (6) : le plus probable est que la famille, de même que les neveux et nièces, y vivaient sous de fausses identités. Joseph y a été scolarisé quelque temps. Puis, au printemps 1943, avec ses sœurs Rose et Lina, Joseph est confié à l’Œuvre de secours aux enfants. Espère est à 80 km au sud-est. Comment les enfants effectuent-ils le trajet (une partie peut être alors réalisée en train via Fumel, par exemple) ? Et avec qui, et par lequel des nombreux réseaux mis en place par l’OSÉ dans le quart sud-ouest du pays ? En tout cas, les voilà dans le Lot.
La petite dernière, Sabine, reste avec les oncles et tantes, à Castillonnès.
« Une grande maison... » puis un château
Concernant la vie quotidienne de Rose, Joseph et Lina Wajsberg à Espère, dont ils n’ont donc pas réellement de souvenir, on se rapportera aux témoignages d’autres enfants ou d’encadrants (7). Ils y ont vécu sinon heureux, en tout cas de manière paisible, choyés, traversant en toute sécurité dans cette verdoyante campagne de la vallée du Lot une année 1943 pourtant synonyme de montée en puissance de la répression - envers la population juive ou considérée comme telle et les résistants - dans l’ex-zone libre.
Pour autant, en décembre, avec leurs camarades, ils sont transférés vers la Creuse, au château du Masgelier (commune de Grand Bourg). Est-ce parce que le site sera en quelque sorte l’antichambre de la liberté avant la Suisse ? Parce qu’il est plus âgé (9 ans en septembre 1943) ? Parce qu’il y a plus d’enfants ? Toujours est-il que Joseph conserve davantage de souvenirs de ce séjour en Limousin. « Il y avait une école dans le château même. Et l’ensemble était dirigé par un monsieur nommé Bloch…. Nous restons jusqu’en avril, date à laquelle le château est réquisitionné par les Allemands. Et l’on doit alors évacuer. » Pourtant, cette mémoire est vraisemblablement trompeuse… Ou il y a erreur sur les dates, ou sur les lieux. Une chose est certaine, d’abord : après Espère, les enfants Wajsberg sont bien dirigés vers Le Masgelier.
Toutes les sources concordent ensuite, pour établir que le château du Masgelier ferme ses portes (pour raisons de sécurité) au plus tôt en octobre 1943, au plus tard en février 1944, mais pour l’essentiel des enfants encore présents, en décembre 1943. Par ailleurs, le directeur Jacques Bloch avait quitté ses fonctions dès mars 1943 (8).
Dans la Creuse encore, le château de Chabannes (Saint-Pierre de Fursac) ferme également en décembre.
Donc, en février au plus tard, les enfants Wajsberg quittent la Creuse. Les deux sœurs sont dirigées vers la Haute-Savoie et l’Isère. Joseph, qui souffre d’une scarlatine, maladie contagieuse, attend quelque peu puis on le conduit à Lyon. « Avec le restant des derniers occupants du château » insiste Joseph.
Le passage en Suisse
Dans l’ancienne capitale des Gaules, l’enfant reste quelques semaines avant d’être convoyé sur Annemasse, en Haute-Savoie. Juste à la frontière avec la Suisse. Le grand jour arrive bientôt. C’est le 17 avril 1944. Trois groupes sont formés qui doivent passer la ligne pourtant bien gardée à 20 heures, minuit et 4 heures du matin. Joseph est dans le premier, que dirige le célèbre Georges Loinger (9). « J’ai eu de la chance. Toutefois, il s’est passé quelque chose de terrible : nous accompagnaient une mère et son bébé. Celui-ci s’est mis à pleurer. On a dû continuer sans eux… Sans doute furent-ils arrêtés. Plus tard, j’ai appris aussi que les groupes partis à minuit et 4 heures du matin avaient aussi été interceptés. Je crois qu’ils ont été tués... »

Mais Joseph, lui, franchit effectivement la frontière. En Suisse, il est pris en charge, comme des centaines de réfugiés, par la Croix-Rouge, et conduit au centre du Bout du Monde (un romancier aurait inventé ce nom que personne le l’aurait jugé crédible!), près de Genève (10). Il y reste deux mois, et perçoit même un peu d’argent de poche. « 50 centimes… Je m’en souviens, vous pensez, c’était du jamais vu pour moi. J’ai couru acheter un tube de lait concentré. »
Avant l’été, le garçon est placé dans une famille où le père est boucher. Il devient commis, chargé des livraisons. En août, un matin, un client l’informe : « Ça y est, la guerre est bientôt finie, les Alliés ont débarqué en Normandie... »
« Je me revois devant la maison de ces gens, tout étonné, réalisant sans vraiment réaliser... » Joseph est resté trois mois environ dans cette famille, où, avec le recul, il comprendra plus tard avoir été quelque peu exploité. Il en sera tout autrement dans une autre famille où la Croix-Rouge le place ensuite. C’est un couple qui habite Zurich. Des protestants non pratiquants, mariés depuis une quinzaine d’années. Ils considèrent bientôt Joseph comme leur fils, et en tout cas le traitent comme tel, l’entourent d’affection et d’attentions. Il fréquente l’école où l’on parle allemand et des bribes de yiddish lui reviennent. Il se fait des amis, notamment un camarade qui habitait dans la maison voisine. Le gamin de Metz découvre les joies du ski ou de la randonnée, selon les saisons. Et il y avait ce trésor, chez cet ami et voisin : un train électrique ! « On y passait des journées entières ! »
En juin 1945, il se produit comme un miracle au sein de ce foyer aimant : voilà que la jeune femme met au monde un bébé. « Une petite fille… Ils ont pensé tout aussitôt que j’avais été un don du ciel, que ma présence avait en quelque sorte permis à cette femme de devenir féconde. »
Et bientôt, le couple indique à l’enfant qu’ils souhaiteraient l’adopter. Pour qu’il devienne « leur » fils. Lequel les appelait déjà « papa » et « maman », des mots symbolisant à quel point, outre une vie matérielle agréable, une forme d’amour liait désormais le couple de Zurich à Joseph, désormais âgé de 11 ans. « J’ai accepté le principe, mais j’ai pourtant posé une condition. Que des recherches soient effectuées pour retrouver mes sœurs, et d’une manière générale, ma famille messine. »
Les services de la Croix-Rouge parviennent à exaucer le vœu : en mars 1946, son oncle Fernand est retrouvé à Metz, et ses sœurs aussi. La dernière, en Lorraine également, et Rose et Lina, qui ont pour leur part intégré une institution pour enfants de l’OSÉ.
Alors Joseph repart pour Metz. « Ce fut très dur. Une nouvelle séparation. Au fond, pour la seconde fois, je perdais mes parents... »
La vie d’après
De retour dans sa ville natale, Joseph reprend un cursus scolaire non sans éprouver quelque difficulté en raison des années perdues ou durant lesquelles il ne fut que ponctuellement scolarisé, mais aussi parce que deux ans durant, il avait vécu en suisse alémanique. Il obtient cependant son certificat d’études après lequel son oncle Fernand lui propose de faire son apprentissage dans son magasin de confection.

L’adolescent se forme à la mise en place des vitrines, aux retouches et d’une manière générale au savoir-faire du commerce : il en fera lui aussi sa profession…
C’est aussi à son retour qu’il apprend – mais se faisait-il encore quelque illusion ? – que ses parents, après la rafle d’Angoulême, avaient été déportés et qu’ils n’étaient pas revenus de l’enfer d’Auschwitz.
Sur le plan religieux, s’il fait sa Bar Mitzvah, ensuite, il s’éloigne progressivement de la pratique et de la foi : « Je ne suis plus croyant. Je n’admets pas que si un dieu existe, il ait pu permettre tout ce qui s’est passé... » Joseph Wajsberg ne renie pas son identité, ni d’où il vient, mais il s’est tracé son chemin en homme libre. S’il s’adonne au sport avec le club du Maccabi de Metz, il épouse Nicole en 1962, une jeune femme non juive. « Cela a provoqué quelques remous, même une longue brouille avec certains membres de la famille, mais pas avec mes sœurs. Mais j’assume, évidemment ! J’ai eu deux filles merveilleuses, Sandrine et Vanina. Je ne leur ai pas enseigné de principes religieux, je leur ai transmis des valeurs morales… » Il a aussi témoigné sans relâche.

Et un des plus beaux cadeaux qu’il ait reçu est un petit film que son petit-fils Maximilien, étudiant en cinéma à New-York, a consacré à son grand-père et à ses arrière-grands-parents déportés.
« Merci de vous intéresser à cette histoire, je suis désolé, j’aurais voulu être plus précis » s’excuse-t-il quand nous raccrochons après un échange téléphonique, au début de l’année 2021. « Merci à vous, Joseph, mille mercis... »
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Trois des enfants de la fratrie sont décédés en 2022, avant l'achèvement de notre travail. La disparition de Joseph est ainsi survenue alors qu'il se réjouissait de se rendre à La Roche-Chalais, en Dordogne, commune qui a intégré le village de Saint-Michel de Rivière où la famille fut raflée en 1942 et qui a organisé une importante cérémonie mémorielle pour le 80e anniversaire de cette tragédie. Des plaques dans les hameaux où étaient établis les hommes, femmes et enfants conduits ensuite à Angoulême ont été dévoilées. Les enfants, petits-enfants Wajsberg étaient présents...
- Notes
(1) Outre les entretiens qu’il nous a accordés, Joseph Wajsberg a témoigné auprès de l'USC Shoah Foundation Institute (Californie) et certains éléments proviennent également du film « Joseph’s Story » réalisé par son petit-fils Maximilien Grovit en 2018 et disponible sur YouTube.
(2) Gérard Benguigui et Frank Svensen ont publié en 2012 « La Rafle d'Angoulême (8 octobre 1942) racontée par des survivants ».
(3) Voir site convoi77.org
(4) Il s’agit vraisemblablement de Robert Frank, originaire de Metz, lui-même enfant ayant survécu à la rafle. Il a témoigné notamment auprès du Mémorial de la Shoah à Paris.
(5) Les archives de cette institution, l’orphelinat catholique du Bon Pasteur, avec liste des enfants et date de leur sortie, mentionnent la mi-décembre pour ce qui concerne le départ des sœurs Wajsberg.
(6) Echange mail avec les Archives départementales du Lot-et-Garonne, automne 2021.
(7) Voir la page La Maison au Quotidien.
(8) Durant la guerre, 335 enfants au total passèrent par Le Mageslier. En 1945, le château rouvre ses portes et l’OSÉ y accueille enfants et adolescents orphelins ou dont la famille ne peut assumer la charge.
(9) Grande figure de la résistance juive, Georges Loinger (1910-2018) a pu mener à bien durant la guerre le passage en Suisse de 450 enfants juifs. Il témoignera sans relâche jusqu’au terme de sa longue vie.
(10) Du nom d’un lieu-dit de la campagne autour de Genève, le Camp du Bout du Monde fut ouvert dès le début de la guerre par les autorités helvétiques pour y accueillir les réfugiés.
- Images
Sauf mention contraire les images sont issues des archives de la famille Wajsberg