Les enfants Wiktorowicz

Esther, Louise, Maximilienne, Hélène et Henri à Espère. Fonds Charline Toucheboeuf.
  • Léon Tejwel Léon Wiktorowicz, né le 25 mai 1915 à Wloclawek (Pologne). Il a été déclaré décédé le 23 septembre 1942 à Auschwitz. Il était domicilié à son arrestation rue Papillon à Paris.

  • Sarah, née en 1917 en Pologne, décédée aux Etats-Unis. 

  • Estera Mallka (dite Esther ou Estelle) Wiktorowicz née le 3 mars 1920 à Wloclawek Pologne, décédée 13 octobre 2010 à Pierre-Bénite (Rhônee) ; mariée le 25 janvier 1945 à Roger Cahen (né le 12 juin 1919 à Dijon, décédé le 25 janvier 2014 à Lyon).

    Les quatre plus jeunes qui ont été accueillis à Espère :

  • Louise Wiktorowicz née le 19 septembre 1931 en Pologne.

  • Maximilienne Wiktorowicz née le 9 juillet 1933 à Paris (13e), décédée le 6 février 1976 à Hyères (Var).

  • Hélène Wiktorowicz née le 13 septembre 1934 à Paris (13e), décédée le 19 février 2022 à Paris (15e). Mariée le 8 août 1959 à Sainte-Foy-les-Lyon avec Yves-Pierre Petizon, résidait à Chevenay (Yvelines).

  • Henri Wiktorowicz né le 29 janvier 1936 à Paris (13e), décédé le 7 décembre 2008 à Bron (Rhône), résidait à Sermérieu (Isère).
     

La famille Wiktorowicz arrive en France vers 1932, en provenance de Pologne, en l’occurrence de Wloclawek (souvent orthographiée Vladislavie en français, en Couïavie-Poméranie), voire de sa périphérie : c’est dans cette ville qui compte de nos jours plus de 100 000 habitants que sont nés les aînés des enfants… A Paris, le père s’établit comme tailleur, et la famille réside dans un immeuble de l’avenue d’Italie, au numéro 24, ainsi que le précise le recensement de 1936 (cette adresse est également mentionnée sur les actes de naissance des enfants nés en 1933, 1934 et 1936). Il est vraisemblable qu’Israël Wiktorowicz travaille dans l’appartement. Les parents comme les enfants nés en Pologne sont naturalisés, précise encore le registre du recensement de 1936. Les enfants nés à Paris sont bien de nationalité française, comme le veut le droit, ainsi que le précise là encore le recensement. A cette date, en revanche, le fils aîné, Léon, 21 ans, n’est déjà plus mentionné comme vivant dans ce foyer. La famille s’est néanmoins agrandie depuis son émigration en France avec les naissances de trois filles et d’un garçon de 1931 à 1936. La fratrie compte donc sept enfants, quelque 21 années séparant l’aîné du benjamin.

Szyfra Victorovicz, Louise, Maximilienne, Hélène et Henri. Fonds Laurent Petizon.

La mort du père

Un premier drame survient en 1938. A la mi-juillet. La famille Wiktorowicz a alors emménagé au 12 rue Papillon, dans le 9e arrondissement, un quartier réputé plus bourgeois. Le père, Israël, décède le 13 juillet à l’Hôpital Bichat. Il n’avait que 45 ans. Un deuil terrible et aussitôt, le cours de la vie quotidienne qui bascule… Estelle, dans ses mémoires, explique à quel point ce drame a bouleversé sa jeunesse.

Elle n’a que 21 ans. « J’ai beaucoup travaillé pour aider ma mère et mes frère et sœurs, qui n’avaient plus que moi… Mon frère ainé était militaire à cette période, puis prisonnier… Au début, vendeuse en maroquinerie… Mais devant l’insuffisance de la rétribution en fonction de mes charges familiales, j’ai pu obtenir la gérance d’un magasin de maroquinerie, dans la galerie marchande de Montparnasse, et pour arrondir mes fins de mois, je faisais du porte-à-porte pour vendre des sacs à main pendant mes journées libres et le dimanche. » D’autres nuages s’annoncent cependant. Des nuages noirs. En septembre 1939, la France et l’Allemagne sont en guerre, mais les combats ne débutent qu’en mai 1940.

L’exode dans le Cantal

La progression des troupes ennemies est effrayante par sa rapidité. Il faut quitter Paris. Estelle se souvient : « A l’arrivée des Allemands, j’ai évacué toute la famille par le premier train en partance, qui nous a amenés dans le Cantal, à Saint-Paul-des-Landes. »

Comme la plupart des habitants de la capitale, les Wiktorowicz ont vraisemblablement emprunté le chemin de l’exode durant les dix premiers jours de juin. Mais leur séjour en Auvergne fut court. Avant la guerre, Saint-Paul-des-Landes ne compte que 600 habitants. La commune est située à une dizaine de kilomètres à l’ouest d’Aurillac. Si ce n’était le contexte, on évoquerait quelques jours de vacances au grand air. Et puis après le 22 juin et l’humiliante signature dans le wagon de la clairière de la Rethondes, la famille effectue assez rapidement le trajet retour. « Après la signature de l’Armistice, nous sommes rentrés à Paris où j’ai repris mes activités. J’ai fait des démarches dans les ministères pour obtenir le retour de Léon en tant que soutien de famille », note Estelle. Nous ne retrouvons pas trace de Léon dans les listes des prisonniers français communiquées aux autorités françaises par l’Allemagne, publiées en 1940 et 1941. Il est en tout cas démobilisé (on ignore s’il s’agit du fruit des démarches d’Estelle) en 1942. Mais le pauvre Léon ne profite guère de son retour à la vie civile

L’arrestation du grand frère

Cette année-là, avec la complice collaboration des autorités françaises, l’Allemagne organise et initie la mise en œuvre de la déportation massive des Juifs établis en France. Étrangers, naturalisés (ou victimes de la loi de dénaturalisation adoptée par Vichy) et bientôt de nationalité française... L’aîné de la fratrie est arrêté à la fin de l’été. Il sera du convoi n° 34 parti de Drancy le 18 septembre avec mille hommes, femmes et enfants à son bord.

 Léon, le grand frère, déporté et assassiné à Auschwitz à l'automne 1942. Archives familiales.

« Le convoi arrive à Auschwitz le 20 septembre. Parmi les hommes, 31 sont sélectionnés pour des travaux forcés et sont tatoués des numéros 64719 à 64749. De plus, 221 femmes sont également sélectionnées, parmi elles des femmes arrivées dans un autre convoi. Ces femmes sont tatouées des numéros 20217 à 20437. Les autres déportés sont gazés dès leur arrivée au camp. En 1945, on dénombrait 22 rescapés de ce convoi » selon les informations mises au jour en France par Serge Klarsfeld. Sur les actes officiels d’état-civil postérieurs à la guerre, il est mentionné que Léon serait mort dès son arrivée au camp. Ce nouveau drame est évidemment relaté dans les mémoires d’Estelle, ainsi que les décisions qui en découlent…

Les plus jeunes placés à Espère

« Les mesures « anti Juifs » devenant de plus en plus violentes, Léon a été arrêté et déporté : devant ces faits ma mère a voulu que je parte en zone libre, avec deux des enfants. J’ai donc emmené avec moi Mina (Maximilienne) et Henri. Nous avons passé la ligne de démarcation en pleine nuit, après une marche pénible pendant des kilomètres dans la forêt. Nous sommes enfin arrivés à Pau, chez des amis qui nous ont hébergés pendant quelques jours. C’était les Luksemberg. Ces mêmes amis ce sont débrouillés pour que Mina (Maximilienne) et Henri soient placés dans une maison de l’O.S.E.. Et moi j’ai fait partie de la Résistance Juive depuis ce moment. »

Quelques jours plus tard, Maximilienne et Henri découvrent la maison d’Espère. Et leur sœur Estelle commence à multiplier les missions clandestines… Toutefois, moins d’un an après la déportation de Léon, et moins de cinq ans après la mort du père, Israël, une nouvelle épreuve attend les enfants Wiktorowicz. Estelle l’évoque avec pudeur. « Je suis revenue à Paris en avril 1943 après avoir reçu un télégramme me disant que ma mère était malade, et à l’hôpital. Avec des faux papiers, le voyage s’est bien passé, je m’appelais « Madeleine Passelande ». Dès mon arrivée à Paris, je me suis débrouillée pour me faire admettre à l’hôpital pour rester avec ma mère ; je pense que les docteurs et infirmières étaient au courant, car ils faisaient semblant de m’ausculter. Je suis restée à l’hôpital jusqu’au moment de la mort de maman, le 14 avril 1943. »

Le décès de la maman

Pour autant, là encore, en ces temps de persécutions, il n’y a pas de temps à perdre. « J’ai fait toutes les démarches pour les obsèques, maman a été enterrée au cimetière de Bagneux. Lily (Louise) et Hélène étaient restées à Paris avec maman, pendant la période de l’hôpital, une gentille voisine s’était occupé d’elles. Le lendemain matin, avec Hélène et Lily, nous avons pris le train pour Toulouse. Là, j’ai quand même eu une émotion : arrivés à Vierzon, c’était la ligne de démarcation. Pas de papiers pour mes sœurs, les miens étant faux ! Avec l’aide des gens de mon wagon, nous avons couché les deux filles sur le sol et chacun a étendu ses jambes par-dessus elles. Lorsque les Allemands sont entrés dans le wagon ils n’ont rien vu, ils n’ont vu que huit personnes les jambes allongées par la fatigue et dormant à moitié. » Dans son récit, Estelle note ensuite : « Alors là je ne sais plus si c’est avec Hélène et Lily (Louise) ou Mina et Henri que nous avons été arrêtés par la police française qui nous a retenus un grand moment… Mais sauvés par un cheminot de la gare qui a dit être mon mari, et ses enfants qu’il était venu chercher, il nous a mis dans le train pour Toulouse, et je ne l’ai plus revu… Sauvée par un inconnu. » (*) Et elle conclut sur ce nouveau voyage : « J’ai placé mes deux sœurs à Espère Caillac, dans le Lot, où elles ont rejoint Henri et Mina. »

Dans la Creuse puis à Toulouse

Après Espère, les quatre enfants suivent le groupe dans la Creuse quand le home lotois est évacué fin 1943. Ils sont ainsi mentionnés au château du Mageslier. Quand celui-ci est à son tour fermé, les enfants sont placés dans des familles et, pour l’une d’entre-elles, dans un établissement catholique.

A la libération de Toulouse, Louise, Maximilienne, Hélène et Henri sont abrités un temps dans la maison d’accueil que l’Œuvre de Secours aux Enfants a aménagée dans le petit château jusqu’alors occupé par… la Gestapo. Estelle les retrouve ponctuellement à Toulouse tout en continuant à être active au sein de la résistance. Puis elle suit son fiancé Roger Cahen (**) qui a intégré l’Armée de la France libre. Elle connaît ainsi la terrible campagne des Vosges et attend la démobilisation de Roger Cahen, qu’elle accompagnera jusqu’en Allemagne.

De retour en France, elle s’établit à Lyon et les quatre enfants les plus jeunes de la fratrie la rejoignent. Elle devient, avec son mari, leur tutrice. Elle est à leurs côtés pour aborder ce retour à la vie civile. Scolarisés dans des établissements de l’OSE, les enfants deviennent des adolescents puis des adultes.

Sauvés par leur sœur aînée, et par l’OSE, les enfants puis les générations suivantes lui garderont une reconnaissance sans limite.

 

(*) Devenue « inutile » après que l’armée allemande envahit puis occupa la zone sud du pays, la ligne de démarcation est officiellement supprimée le 1er mars 1943. Toutefois, les contrôles, moins systématiques mais fréquents, continuent à bord des trains et le long de l’ancienne ligne. Il n’est donc pas possible de dater a posteriori l’anecdote rapportée par Estelle, qui ne souvient plus du reste quels enfants de la fratrie l’accompagnaient. Cependant, d’après la petite-fille d’Henri, Charlotte Toucheboeuf, c’est bien son grand-père Henri et Maximilienne qui ont vécu ce passage de la Ligne de Démarcation. Henri se rappelait s’être caché sous les jupes des dames du wagon.

(**) Une notice biographique de Roger Cahen, médaillé de la Résistance, est disponible sur l'excellent site du Maquis de Vabre, un maquis du Tarn comptant une forte proportion de jeunes résistants juifs. 

Ce qu'ils sont devenus

Les quatre enfants passés par Espère ont fréquenté des établissements scolaires et des centre de formation professionnelle (notamment Le Tremplin) en région lyonnaise à partir de 1945,  à proximité de leur sœur aînée Esther et de son époux Roger Cahen, lesquels sont devenus leurs tuteurs légaux.

Ces établissements dépendaient de l'Œuvre de secours aux enfants qui continua à leur assurer un suivi et un soutien financier. Dans les années 1990 encore, l'OSÉ les renseignait sur leurs parcours (échanges de courriers). Dans d'autres domaines, des membres de l'organisation ont accompagné Louise dans ses démarches quand elle a décidé de rejoindre Israël ou Henri, incorporé au moment de la guerre d'Algérie.

Louise Wiktorowicz : a choisi de s'établir en Israël puis est revenue en France. Elle réside toujours dans la région de Nice.

Maximilienne Wiktorowicz : décédée prématurément, elle s'était établie dans le Var.

Hélène Wiktorowicz : a épousé le 8 août 1959 Yves-Pierre Petizon qu'elle avait rencontré lorsqu'il était étudiant à Lyon. De dernier fut ingénieur puis cadre supérieur au sein du groupe Dumez, dont il dirigea des filiales. Hélène séjourna avec lui une dizaine d'années en Afrique où M. Petizon avait été nommé. Le couple eut trois enfants : Thierry, Laurent, Sophie. Etablie par la suite en région parisienne, Hélène devint artiste-peintre, une passion pour les arts qu'elle partageait avec son époux. On retrouve certains de ses tableaux (exposés notamment à Paris et à Grimaud) sur un blog dont l'intitulé est tout simplement son nom d'artiste : Ilona

Henri Wiktorowicz fut artisan plombier. Marié, il eut une fille, Anne. Une fois retraité, il a écrit un court texte (mais poignant) où il évoque son enfance douloureuse.

Description de mon parcours.

Nous habitions rue Papillon, à Paris 13e. Notre famille était composée de nos parents et sept enfants. Notre frère né le 25 mai 1915 était sous les drapeaux dans l’armée française et démobilisé lors du décès de notre père en 1938. Il a été désigné soutien de famille.

Nous vivions à Paris lorsque la guerre a été déclarée. Avec l’obligation de porter l’étoile jaune, les dénonciations et les rafles se multipliaient. Nous étions en danger. En mars 1942, notre sœur aînée Esther engagée dans la résistance décida d’organiser notre départ de Paris vers la zone libre avec ma sœur Maximilienne. Nous avons été placés dans une maison d’enfants à Espère dans le Lot. Peu après le décès de notre mère le 14 avril 1943, nos deux sœurs Hélène et Louise nous ont rejoints, tandis qu’Esther a regagné le maquis organisé par les Juifs.

Nous sommes restés dans cette maison d’enfants qui était une ferme jusqu’en octobre 1943. Un jour, des soldats allemands sont passés dans cette ferme demander du ravitaillement. Ils nous ont vus et sont repartis. Pris de panique qu’ils ne reviennent pour nous arrêter, nous avons quitté cette maison le lendemain pour une autre maison d‘enfants au château du Masgelier où nous avons été cachés jusqu’en mai 1945.

A la Libération, je suis resté quelque temps chez ma sœur à Lyon avant de rejoindre mes sœurs à L’Hirondelle à la Mulatière jusqu’en octobre 1946 puis placé au Tremplin à Saint-Genis-Laval (Rhône) jusqu’en septembre 1954. Notre sœur aînée devenue tutrice légale s’occupait beaucoup de nous.

C’est là que j’ai appris mon métier, celui de plomberie, activité professionnelle que j’ai exercée jusqu’à ma retraite, qui m’a donné la force de survivre à mon enfance douloureusement vécue dans la peine et le désarroi d’avoir perdu mes parents et mon frère en déportation en septembre 1942, et aidé à surmonter les épreuves de cette sinistre époque pour me reconstruire.

Nota Bene : D'autres documents (correspondance) conservés par ses fille et petite-fille attestent qu'Henri savait avoir rejoint Toulouse à la fermeture du Masgelier. Par ailleurs, cette version évoquant les raisons de la fermeture de la maison d'Espère semble contredite par les témoignages de Dina Gorkine et Lucien Zilberstein. Pour autant, que le sentiment d'insécurité perceptible à l'automne 1943 fût accentué par une visite inopinée de soldats allemands est bien évidemment tout sauf improbable.