Les enfants Saoul

 

Mathilda Saoul, née le 28 août 1928 à Athènes (Grèce), décédée le 19 mars 2003 à Dinan (Côtes-d’Armor).

Jackie (Isaac) Saoul, né le 22 mai 1930 à Athènes (Grèce).

 

Les enfants Saoul (*) font partie des quelques « pensionnaires » de l’Œuvre israélite des Séjours à la Campagne (OSC) puis de l’Œuvre de Secours aux Enfants (OSE) ayant séjourné dans le Lot de juin 1940 à fin 1943, à Mercuès, Douelle puis Espère.

Les enfants Saoul apparaissent su la liste de Douelle fin 1940, d'abord Mathilde puis Isaac qui semble être rajouté à une autre date. AD46.

Nés en Grèce, ils sont arrivés à Paris au début des années 1930 en compagnie de leur père, Samuel (né en 1905). Un échange de courriers en 1932 et 1934, relatifs à des pièces d’état-civil, conservé à l’Institut Yad Vashem, laisse à penser que leur mère, Esther, était décédée avant que la famille ne s’installe en France (**).

En 1939, leur père Samuel, établi comme commerçant, fait partie des dizaines de milliers d’étrangers (immigrés « économiques » ou réfugiés) qui choisissent de s’engager dans la Légion étrangère. Cela explique vraisemblablement que Mathilda et Jackie aient été pris en charge par l’OSC. On ignore précisément le parcours des enfants après la fermeture de la maison d’Espère, mais ils sont vivants à la Libération et rejoignent alors Louise C., compagne de leur père avant son départ pour la Légion. Elle est alors domiciliée à Beauchamp (dans l’actuel département du Val-d’Oise).

Dans le registre préfectoral des juifs de 1942, Mathilde et Isaac sont toujours résidents de l'OSC à Douelle

Toutefois, dès novembre 1944, Jackie (Isaac) Saoul est mentionné sur une liste de plusieurs centaines d’enfants que l’American Joint Committee a recueillis en Espagne et au Portugal en attente de leur émigration. De fait, à une date non précisée, l’adolescent gagnera Israël.

Archives de l'American Joint Comittee

Sa sœur, elle, est restée en France.

Leur père est mort à Auschwitz

C’est durant cet immédiat après-guerre que l’un et l’autre vont apprendre la terrible nouvelle : leur père Samuel, exerçant alors la profession de « commerçant ambulant », demeurant rue des Coutures Saint-Gervais dans le 3e arrondissement, a été raflé puis déporté par le convoi n°44 en novembre 1942. Il est mort assassiné à Auschwitz. La police française a procédé à cette rafle sur ordre de l’occupant (***). Samuel Saoul a été livré à ses assassins par des fonctionnaires portant l’uniforme français, lui qui s’était engagé et battu pour défendre son pays d’adoption.

Samuel Saoul, archives familiales Saoul déposées à Yad Vashem.

Le 13 mai 2011, Jackie (Isaac) Saoul qui s’apprête alors à fêter ses 81 ans remplit plusieurs fiches de témoignages auprès de Yad Vashem, l’Institut international pour la mémoire de la Shoah, à Jérusalem. Il déclare résider à Haïfa. Une fiche concerne son père, une autre sa sœur Mathilde, décédée en France en 2003. Il dépose également plusieurs documents (les courriers relatifs à l’état-cil cités plus haut, mais aussi plusieurs clichés de son père). Il note enfin que Samuel avait trois enfants : Mathilda et Jackie (Isaac) ont eu en effet un demi-frère, Louis (1939-2020).

En dépit de nos recherches, nous n’avons pu, à ce jour, retrouver d’autres éléments sur Jackie (Isaac), notamment si au-delà des documents et fiches laissés à Yad Vashem, il avait témoigné de son itinéraire d’enfant victime de la Shoah.

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(*) Transcriptions francisées de son prénom en hébreu, Izchak.

(**) « Les listes nominatives des recensements de 1926, 1931 et 1936 pour Paris, et les immatriculations au registre du commerce de la Seine entre 1920 et 1936 permettent de reconstituer le parcours familial, résidentiel et professionnel de plus de 19 000 immigrés nés en Grèce ou en Turquie. En croisant l’origine communautaire et l’origine géographique de ces immigrés, on peut distinguer cinq groupes : les Arméniens de Turquie, les Grecs de Grèce, les Grecs de Turquie, les Juifs de Grèce et les Juifs de Turquie. À Paris, en 1926, les Grecs de Grèce sont plus nombreux que les Juifs de Grèce, mais c’est l’inverse en 1936. Chez les immigrés originaires de Turquie, la hiérarchie des effectifs reste la même tout au long de la période 1926-1936 : les Juifs sont les plus nombreux que les Arméniens, eux-mêmes plus nombreux que les Grecs. »

Une communauté stigmatisée

(…) « Les Juifs de Grèce, dont la plus grande partie réside à Salonique, sont devenus citoyens grecs depuis le rattachement de la Macédoine à la Grèce, en 1913, après la Seconde Guerre balkanique. Ils sont les principales victimes, en 1917, de l’incendie de Salonique qui ravage presque totalement les quartiers juifs de la ville. La reconstruction de la ville s’accompagne d’une redistribution négociable des droits fonciers, qui se révèle préjudiciable aux Juifs. En outre, dans les années 1920, les Juifs de Salonique supportent mal la politique d’hellénisation de leur communauté menée par les autorités grecques, avec des mesures comme l’instauration du repos dominical, la conscription obligatoire et l’obligation pour tous les enfants de nationalité grecque de fréquenter des écoles publiques grecques. Pour ces raisons et à cause aussi de l’antisémitisme croissant, beaucoup de Juifs de Salonique choisissent d’émigrer vers les capitales européennes, dont Paris, venant ainsi grossir la petite communauté séfarade qui existait déjà avant la guerre. »

Dans « Les Arméniens, les Grecs et les Juifs originaires de Grèce et de Turquie, à Paris de 1920 à 1936 », par Michel Garin, publié dans les Cahiers Balkaniques, n° 38-39, 2011.

(***) « Le 5 novembre 1942, la quasi-totalité des Juifs de nationalité grecque habitant Paris est raflée par la police française sur ordre des Allemands. Sur les 1 060 personnes arrêtées, la plupart sont originaires de Salonique. Nombre d'enfants arrêtés lors de cette rafle sont nés en France et de nationalité française. Les Juifs grecs constituent la grande majorité des déportés du convoi n° 44, parti le 9 novembre 1942 de Drancy vers Auschwitz-Birkenau. Ils représentent également une proportion importante du convoi n° 45, parti deux jours plus tard. » Source : Mémorial de la Shoah de Paris.