Robert Perels

 

Robert Perels est né le 7 août 1937 à Vienne, en Autriche.

Robert Perels

Robert Perels est le plus jeune des « pensionnaires » ayant été accueillis à la maison d’Espère.

Il est mentionné comme étant passé par la maison d’Espère dans l’ouvrage de Katy Hazan et Serge Klarsfeld.

Bien qu’ayant déjà témoigné à plusieurs reprises, notamment auprès de l’OEAD, une organisation autrichienne ayant mission d’enseigner ce que fut l’Holocauste auprès des scolaires, il a accepté de nous livrer, de manière concise, une courte autobiographie. Celle-ci mentionne évidemment l’extraordinaire miracle qui lui a sauvé la vie : sa mère a réussi littéralement à le jeter hors du train qui les emmenait vers la mort, à l’automne 1942.

L’enfant a alors 5 ans. Il mettra longtemps à comprendre ce qu’il perçut d’abord comme un rejet, un abandon.

Voici le texte que nous a adressé par mail Robert Perels depuis Tel Aviv.

L'exil : objectif Marseille !

« Je suis un garçon juif né à Vienne, en Autriche et j'ai passé toutes les années de la guerre dans l'errance et les persécutions, avant d’être pris finalement en charge par l’OSE dans toute la France.

Je suis né en 1937, quelques jours après l'occupation de l'Autriche par les Allemands, c'est-à-dire l'Anschluss. Les autorités nommèrent Adolf Eichmann « Gauleiter » et son siège était situé à la mairie de Vienne.

Début 1939, ma mère fut convoquée : son passeport lui a été retiré et sa citoyenneté a été révoquée. Elle a reçu l'ordre de quitter l'Autriche avec moi dans les 24 heures. Le projet de ma mère était de rejoindre Marseille, en France, et de là prendre un ferry pour Barcelone, en Espagne.

N'ayant pas de visa, nous ne pouvions pas entrer en France. Nous n'avons reçu le visa qu'au début de 1940. En avril, nous entrâmes en France. Nous sommes arrivés à Paris et sommes repartis immédiatement vers Marseille.

Le lendemain, nous sommes descendus au port : là on nous a dit que cela prendrait beaucoup de temps pour trouver une place sur un ferry. Nous n'avons pas eu le temps. Quelques jours plus tard, les Allemands envahissaient la France et Marseille fut inondée de milliers de réfugiés.

Pendant la journée, nous nous promenions dans les rues et la nuit, nous entrions dans une église pour nous reposer ou nous trouvions un refuge provisoire auprès d’une organisation. Les mois ont passé ainsi. Au bout d'un moment, les autorités ont ouvert un camp pour héberger des réfugiés et on nous a aussi donné la possibilité de trouver un logement.

Internés à Rivesaltes

« Abri » : disons que le camp était constitué de casernes et chacun disposait d'un lit convenable. Début 1941, un camp d’internement nommé « Rivesaltes » a été ouvert dans le sud-ouest de la France, au bord de la mer. Et tous les Juifs de la région furent contraints de s’y rassembler. Nous y avons également été emmenés. Les conditions n'étaient pas faciles. Seuls ceux qui avaient reçu un bon de travail recevaient un bon pour la salle à manger. Pas de travail, pas de nourriture. Ma mère travaillait dans une blanchisserie. Autrement dit, une fois par semaine, une voiture apportait le linge sale au camp et sortait le linge propre, lorsque la direction du camp recevait le paiement. Au début de 1942, nous fûmes informés que celles et ceux qui souhaitaient immigrer en Pologne pourraient s’y rendre et y trouveraient de meilleures conditions.

Ma mère a compris ce qui cela signifiait et au bout d'un moment, elle a réussi à s'échapper du camp avec moi.

Registre des évadés du camps de Rivesaltes, Margarete et Robert se sont évadés le 20 février 1942. AD66 26NUM1260W89

Nous avons trouvé une cachette dans Marseille. Ma mère travaillait et a pu louer une chambre. Le temps s’est écoulé. Un jour, nous avons été arrêtés par les gendarmes qui ont découvert que nous étions juifs : nous avons été immédiatement remis à la Gestapo pour être déportés.

Et soudain, un miracle !

La Gestapo nous a transférés dans un camp appelé Drancy, qui servait de camp de transit pour Auschwitz. Le lendemain, le 12 septembre 1942, nous étions dans un wagon en route vers Auschwitz.

Quelques heures plus tard, toujours sur le territoire français, non loin de Metz, le train s'arrête brusquement. Une jeune fille de 14 ans qui était assise à côté de ma mère a grimpé sur ses épaules, a jeté un coup d'œil et a sauté par une sorte de hublot. Ma mère, réalisant où allait le train, est venue me chercher et m'a jeté hors de la voiture. Quelques minutes plus tard, le train reprenait sa route.

Le convoi est arrivé le lendemain à Auschwitz, tous les « passagers » ont été enregistrés et envoyés aux douches. Personne n’a survécu.

Lorsque j'ai rendu visite et accompagné des étudiants à Auschwitz, j'ai trouvé deux noms de ma mère et de moi-même enregistrés...

Après un certain temps, la jeune fille et moi avons trouvé un monastère. Comme c'était un couvent de religieuses, ils ont accepté la jeune fille jusqu'à la fin de la guerre, mais j'ai été accueilli par un agriculteur qui travaillait dans le monastère. Je suis resté avec lui pendant des mois. Un jour, des soldats allemands allèrent de maison en maison à la recherche de Juifs mais ne me trouvèrent pas. L'agriculteur a eu peur et a contacté un membre de l'organisation OSE qui est venu me chercher et m’a conduit avec un autre groupe d'enfants qui étaient cachés dans un village appelé Voiron.

Le passage en Suisse

Nous y sommes restés tout l'hiver. Puis l'organisation a décidé de nous séparer. Ils ont emmené trois enfants (dont j’étais) pour franchir illégalement la frontière suisse.

Ils m'ont mis dans un camp où je suis resté un mois. Dans un premier temps, j’ai failli être renvoyé en France mais le chef de la police suisse a décidé de m'autoriser à rester en Suisse : j'ai conservé le document avec le cachet.

Je suis resté en Suisse et j'ai été transféré dans un orphelinat, puis une famille juive de Suisse m'a accueilli : comme famille d'accueil puis comme famille adoptive.

La paix revenue, la sœur de ma mère a réussi à me localiser grâce à la Croix-Rouge et m'a emmené chez elle et c'est ainsi que j'ai grandi à ses côtés à Tel Aviv. J'ai été diplômé. Je me suis marié et j'ai toujours une fille et un fils. »

Nos précisions

 

Comme nombre de mères durant cette période, Margarete Perels n’a eu que quelques secondes pour décider de sauver son fils. A Rivesaltes, notamment, bien des mamans qui se voyaient proposer par des organisations comme l’OSE que leurs enfants soient pris en charge, pour ne pas dire « exfiltrés », devaient répondre très rapidement. Elles disaient « oui » et elles pouvaient dès lors espérer les sauver. Mais elles redoutaient dans le même temps de ne jamais les revoir. Ce fut le cas pour Robert Perels qu'on trouve sur une liste de 45 jeunes enfants, étrangers destinés à être hébergés au château de Roumégouse transformé en une funeste maison d'enfants où ils ne furent finalement jamais transférés (lire notre éclairage en bas de page).

La liste des 45 enfants destinés au château de Roumégouse, 17 décembre 1941, AD46

 

Dans le cas des Perels, la question s’est posée dans un contexte plus extraordinaire encore.

À la faveur d’un arrêt inopiné du train. En espérant qu’avec de la chance, le petit et l’enfant, en compagnie de la fillette plus âgée, trouvent de bonnes âmes sur leur chemin… Le miracle s’est produit.

Reste à préciser où.

L’enfant Robert Perels, mentionné en 1941, n’apparaît plus dans les registres du camp en 1942. Le cahier des « arrivées » du 11 septembre 1942 comprend le nom de sa mère. Pas le sien.

Robert n’est pas non plus inscrit sur la liste établie à Drancy avant le départ pour Auschwitz. Il aura confondu le camp des Milles d'où il est parti avec sa mère et Drancy, et la ville de Metz avec peut-être Mèze dans l'Hérault.

Il n’est donc pas exclu que le geste désespéré mais miraculeux de sa mère se soit produit dans le sud de la France, entre Marseille et Rivesaltes. Cela n’enlève strictement rien au caractère hors-normes des faits, mais expliquerait mieux sa présence à Espère puis en Isère, trajet qu’il a pu effectuer par exemple aux côtés d’autres enfants sous la responsabilité du rabbin Schneersohn. L’enfant y est noté comme « pensionnaire » du groupe en octobre 1943 à Saint-Étienne de Crossey.

D’autres sources précisent que Robert passa en Suisse le 4 avril 1944. Un document atteste qu’il y est repéré par l’American Joint Comittee. Il a rejoint Haïfa (Israël) en 1947 et fut officiellement pris en charge par sa tante en 1949.

Sa mère a été déportée de Drancy en date du 16 septembre 1942 par le convoi 33. Il comprenait un fort contingent d’anciens internés à Rivesaltes qui n’ont passé que quelques heures à Drancy. Ce convoi comprenait 1 003 hommes, femmes et enfants. 856 ont été assassinés dès leur arrivée. Seuls 33 avaient survécu à la libération du camp en 1945.

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Nos plus vifs remerciements à Monsieur Robert Perels.

Autres sources : Mémorial de la Shoah, Archives du camp de Rivesaltes auprès des Archives des Pyrénées-Orientales, Archives JDC (Archives of the American Jewish Joint Distribution Committee).

Le scandale oublié du château de Roumégouse          (Cliquer pour que le texte se déroule)

A l’époque même des faits, un seul article de presse en fait état. Il paraît le 29 novembre 1943 dans Paris-Soir, quotidien populaire avant la guerre, devenu collaborationniste. En voici la transcription : « Confiés par le COSI et le bureau de bienfaisance de Toulouse, DES ENFANTS étaient abandonnés sans soins et sans nourriture. a mort de l’un d’entre eux a fini par éveiller l’attention des pouvoirs publics et de la justice (De notre envoyé spécial.). GOURDON, 28 Novembre Il y a deux mois, le hasard m’avait fait rencontrer à Cahors la jeune femme d’un prisonnier qui me parla incidemment d’une colonie d’enfants ouverte en plein causse quercynois, au château de Roumégouse, près de Gramat, où, disait-elle, les enfants sont laissés sans soins, abandonnés sans surveillance. Naïvement, je l’encourageai à aller raconter l’histoire au préfet du département. »

« Elle me répondit alors avec pertinence : – Croyez-vous que cela puisse avoir quelque effet ? C’est bien lui, n’est-ce pas, qui a donné l’autorisation d’ouvrir ce centre au mois d’avril dernier. Maintenant, dans un petit cimetière de campagne, deux enfants reposent aujourd’hui et sur l’humble croix placée sur leur tombe il y a leur nom : Françoise R., Deux ans et demi, et Jean-Claude M., trois ans. Celle-là avait été confiée au département du Lot par le bureau de bienfaisance de Toulouse. Celui-ci fils de Parisiens sinistrés lors d’un bombardement, avait été envoyé par le C.O.S.I. Il aura donc fallu la mort de ces deux malheureux petits pour que les pouvoirs publics et la justice daignent s’intéresser à une affaire sur laquelle on observe aujourd’hui une bien étrange discrétion. »

Des enfants rongés par la vermine

« Mais un matin lorsque la petite Françoise R. mourut, il fallut bien prévenir le bureau de bienfaisance à Toulouse. Quelqu’un prit enfin la décision qui s’imposait et demanda à deux assistantes sociales de prendre le premier train et d’aller voir ce qui se passait à Roumégouse. Dans le parc, quelques gosses traînaient, à peine vêtus malgré le froid qui se faisait déjà sentir. Mais la plupart, littéralement rongés par la vermine, le corps couvert de plaies infectes, geignaient dans des lits d’une repoussante saleté. Tous étaient d’une affreuse maigreur. Les deux assistantes firent envoyer l’un d’eux à l’hôpital de Figeac. C’était Jean-Claude M. Les premières nouvelles que reçurent de lui ses malheureux parents furent un télégramme qui leur apprit qu’il venait de mourir. Si un médecin de Figeac n’avait refusé pour lui le permis d’inhumer, le parquet n’aurait peut-être pas ouvert l’enquête qui s’imposait. Tandis qu’à Toulouse les assistantes sociales bouleversées allaient rendre compte de leur triste mission au directeur régional de la  santé, les magistrats se rendaient à Roumégouse. Ils firent transporter hâtivement seize enfants à l’hôpital de Gourdon où des soins attentifs leur sont prodigués actuellement. Les autres furent dispersés dans des familles ou dans des colonies du département. »

« Il n’était que temps ! Mais qu’étaient donc devenues les importantes quantités de denrées livrées pour eux à Mme G., la directrice ? Celle-ci n’avait rien trouvé de mieux que de remplir sa valise et de filer une fois par semaine à Paris vendre au marché noir le sucre, les légumes secs, le chocolat, la confiture qui leur étaient destinés, et même leurs cartes de pain. Mme G., accompagnée de son adjoint a été écrouée à la prison de Cahors. Mais il est permis de se demander la raison pour laquelle l’impossible a été fait pour étouffer cette affaire. Il faut noter d’ailleurs que dans le Lot on pousse fort loin le souci de la discrétion. A Gourdon, cinq bébés sont morts dans une pouponnière. Leurs noms furent supprimés dans la liste des décès communiqués régulièrement aux journaux. Le fait est d’autant plus inexplicable que cette fois ces décès étaient provoqués par une épidémie et non par le manque de soins. Mais pourquoi veut-on éviter d’attirer sur le Lot l’attention des inspecteurs généraux du secrétariat d’Etat à la santé ? Le préfet régional de Toulouse, qui n’a pas les mêmes raisons de minimiser l’affaire et n’entend pas couvrir des fonctionnaires inférieurs à leur tâche, vient de suspendre le docteur F., inspecteur départemental de l’Hygiène, et M. M., inspecteur départemental à l’Assistance. Il semble que les magistrats instructeurs soient bien décidés à ne pas ménager certaines susceptibilités. Et de son côté, le C.O.S.I., en se constituant partie civile, entend demander des comptes à ceux qui avaient accepté la charge de recevoir des enfants malheureux et ont trahi cette mission. »

Une affaire étouffée en haut lieu ?

Des précisions s’imposent. Hors ce reportage signé Jacques Darolle, qui travailla plus tard à Europe 1 (notamment), l’absence d’écho médiatique à ce scandale s’explique en partie par la nature du COSI, Comité ouvrier de secours immédiat. Cette organisation fondée en 1942 par d’anciens leaders syndicaux passés à l’extrême-droite vichyste se révéla très vite une officine à la solde des pires exactions. Ses fonds provenaient de subventions allemandes et de spoliations de biens juifs, comme le rappelle l’historien Gilles Morin dans une des rares études qui lui ont été consacrées. Certes, des aides matérielles et financières furent bien reversées (pour l’essentiel) à des victimes de bombardements alliés. Mais il y eut des enrichissements personnels et le COSI finit par devenir un des bras de la Milice. Nombre de ses dirigeants ont été condamnés à la Libération. L’organisation gérait par ailleurs plusieurs maisons pour enfants. Gilles Morin cite ainsi le château de Roumégouse. Paradoxe, dans les mois qui précèdent la Libération du département, le château est utilisé par la résistance comme hôpital de campagne comme le raconte le maquisard FTP Roger Lefort qui y a été soigné. Par ailleurs, aux archives du Lot, sont conservés des courriers et éléments relatifs aux enquêtes diligentées. Assurément, un sujet qui doit encore être étudié plus profondément par les historiens : tant en raison du scandale lui-même que de la « légèreté » dont firent preuve les autorités de l’époque (et pourquoi?), celles de Toulouse ayant été a priori moins timides que celles de Cahors. Par ailleurs, nous n’avons retrouvé trace des suites judiciaires.

L’étude sur le COSI de Gilles Morin (Le Comité ouvrier de secours immédiat, « une entreprise allemande sous le masque de la solidarité » est disponible en ligne (Revue d’histoire, 2019).

Les mémoires du résistant Roger Lefort le sont également, ainsi que sa notice biographique »).