Gerhard Eckmann

Gerhard Eckmann, né le 7 août 1929 à Burgpreppach (Allemagne), décédé entre la fin février 1944 et février 1945 près de Lieberose (Allemagne).
De tous les enfants mentionnés comme ayant été accueillis à la maison d’Espère, ne serait-ce qu’à l’occasion d'une halte de quelques jours, Gerhard Eckmann est à la fois celui dont la courte vie se révèle parmi les plus tragiques et par ailleurs, la plus documentée. La retracer ici, même brièvement, donne s’il en était besoin tout son sens au travail que nous avons entrepris.
Nous disposons de l’enfant nombre de photographies datant d’avant la guerre, puis des différents homes où il fut réfugié au fil de son errance (en Belgique puis en France). Elles ajoutent sans doute au caractère particulier de cette notice biographique… Gerhard y apparaît comme un enfant puis adolescent à la fois souriant et déterminé, confirmant les témoignages qui jalonnent les sources qui évoquent sa malheureuse destinée.
Une enfance heureuse, et puis...
Gerhard Eckmann voit le jour en août 1929 à Burgpreppach, petite localité de Bavière. Une communauté juive y est implantée depuis le XVIIe siècle. Il est le fils de Léopold Eckmann, ancien combattant de la Première guerre dont il est rentré invalide, commerçant de profession, et d’Amalia Ganzmann, qui tient une boutique de confiserie au rez-de-chaussée de leur maison.
Le couple emploie une domestique de religion chrétienne : en vertu d’une loi de 1935, les Eckmann doivent lui donner congé. Une Allemande chrétienne ne peut servir une famille juive… Jusqu’à l’automne 1938, l’enfant fréquente l’école israélite de Burgpreppach. Survient le 10 novembre 1938 : la « Nuit de Cristal ». Dans le bourg comme partout en Allemagne, les magasins tenus par des Juifs sont saccagés, et des hommes juifs sont arrêtés et internés. Invalide, Léopold Eckmann est un temps épargné.

Les parents de Gerhard devinent cependant que le pire est encore à venir. Ils entament des démarches pour placer leur enfant en sécurité et finissent par lui obtenir un passeport. Le 22 février 1939, par le train via Francfort, le garçon rejoint un home à Anderlecht, commune de la périphérie sud-ouest de Bruxelles.
Il ne reverra pas ses parents : ayant emménagé à Fürth, une ville où ils pensent être plus tranquilles que dans un village, leur destin se révèle tout aussi tragique que celui qui attend leur fils… Léopold y succombe le 1er novembre 1940 d’une crise cardiaque. Ayant pour sa part rejoint Berlin, son épouse Amalia y est arrêtée le 5 septembre 1942 puis déportée à Riga (Lettonie) où elle est assassinée par les Nazis.
La Belgique puis la France
Gerhard ne le saura jamais. Pris en charge par le Comité d’Assistance aux Enfants juifs réfugiés (CAEJR), comme des centaines d’enfants âgés de 4 et 15 ans, il est pour l’heure épargné. En revanche, certains garçons peuvent alors être envoyés vers la Grande-Bretagne ou même Cuba. Hélas, il n’en fait pas partie.
Quand survient l’attaque allemande en mai 1940, dès le 11, à la hâte, l’ensemble des enfants et adolescents quittent la Belgique par le train ou à bord de camions et au terme d’un long trajet, ponctué d’arrêts obligés (parce que des bombardements ont notamment affecté des voies ferrées), ils arrivent à Villefranche-de-Lauragais, près de Toulouse. Là, avec l’aide financière et matérielle (envoi de colis) du « Secours suisse aux enfants » , une émanation de la Croix Rouge suisse, la plupart sont abrités au château de Seyre. L’hiver 1940-41 s’y révèle terrible.
Une solution alternative doit être envisagée : ce sera le château de La Hille, dans l’Ariège, où les enfants arrivent au printemps 1941 avec leurs encadrants. Beaucoup sont alors scolarisés.

Durant cette période, d’incessantes démarches sont effectuées pour trouver un exil plus sûr. Certains jeunes sont passés en Espagne, d’autres en Suisse ou embarquent pour les Ėtats-Unis.
L'espoir déçu d'un exil en Amérique
Gerhard est proche, lui aussi, de connaître enfin des jours plus sûrs. Un de ses oncles s’est établi aux Ėtats-Unis et se porte garant. Le 24 juillet 1942, toutes les conditions sont réunies. Les papiers sont prêts. L’enfant se trouve sur une liste de 500 autres garçons et filles rassemblés à Marseille dans l’attente d’un proche départ. Et au dernier moment, en novembre, Vichy met son veto en signe de protestation après le débarquement allié en Algérie.
C’est à ce moment vraisemblablement que l’enfant est pris en charge par le rabbin Schneersohn. A défaut des Ėtats-Unis, Gerhard rejoint le domaine de Seignebon, à Dému, dans le Gers. Il y retrouve Nathan Berney : de deux ans son aîné, ce-dernier a fréquenté la même école juive au sein de leur village natal…
Comme Nathan, c’est sans doute lors du transfert de cette colonie vers l’Isère, décidé en mars 1943 par le rabbin, inquiet de voir la gendarmerie s’intéresser de trop près à ses activités, que Gerhard Eckmann fait étape à Espère.
Près de Grenoble, l’adolescent suivra le même rabbin dans sa tentative de s’implanter à Nice puis son retour précipité dans la région de Voiron.
L'étau se resserre
Ils sont alors environ 70 enfants (majoritairement étrangers) bientôt répartis dans différentes fermes. Chaque jour, l’étau semble se resserrer. Des passages vers la Suisse sont initiés. Les pensionnaires s’installent dans la clandestinité.
Vient la nuit du 23 au 24 mars 1944 : la Gestapo et la milice font irruption dans une ferme du hameau de La Martellière et arrêtent 17 enfants (de 8 à 21 ans) et un adulte (la mère de deux des enfants) qui sont aussitôt conduits au quartier général de la Gestapo à Grenoble.
Tous sont transférés le 27 mars à Drancy. Un premier groupe dans lequel figure Gerhard est déporté vers Auschwitz le 13 avril 1944 par le convoi n° 71 qui parvient à destination le 16 avril.

Certaines sources affirment que le tri est effectué par le sinistre Dr Mengelé en personne. Gerhard est déclaré « apte au travail ». Il n’a pas encore 15 ans, mais au contraire d’autres déportés, plus jeunes, aussitôt assassinés dans les chambres à gaz, il peut alors, certes inconsciemment, s’estimer sauvé. D’abord affecté dans une école de maçonnerie (sic), il est avec d’autres compagnons de malheur envoyé en novembre vers le camp de Sachsenhausen. Là, c’est littéralement l’enfer sur terre. Au camp de travail de Lieberose, quand ce n’est pas d’épuisement, c’est sous les coups de crosse ou par des balles tirées dans la nuque que périssent les jeunes prisonniers.
Au cœur de l’hiver, Gerhard meurt à une date inconnue, entre la fin décembre 1944 et début février 1945.
Des années plus tard, une fosse commune sera mise au jour, comprenant les restes de 577 jeunes détenus assassinés.
Sources : Archives de l'OSE, Memorial de la Shoah de Paris, US Holocaust Memorial, Site mit-der-reichsbahn-in-den-tod (Allemagne)
« Itinéraire de l'enfant Gerhard Eckmann », par Christiane Le Diouron, Revue d'histoire de Voiron.
Articles et ouvrages de Cordula Kappner qui a effectué des recherches sur les enfants et adultes de la communauté de Burgpreppach durant la Shoah et dont les synthèses sont en accès libre.
« Les homes Bernheim et Speyer (1938-1940). Témoignages d’enfants réfugiés d’Allemagne et d’Autriche.» Simon Collignon. 2005.
« The Children of La Hille : Eluding Nazi Capture during World War II », par Walter W. Reed. Presses universitaires de Syracuse, 2015.
A propos de la Rafle de la Martellière, voir notamment Le Monde du 2 décembre 1977 ou le site Voiron Citoyenne.