Lucien Zilberstein

Lucien Zilberstein, né le 15 juillet 1935 à Elbeuf (Seine-Maritime).

Lucien Zilberstein enfant

C’est en Normandie que le petit Lucien voit le jour : son père Abraham (1900-1976) et sa mère Dinah (ou Dina), née Szpinak (1902-1942), tous deux originaires de Varsovie où ils s’étaient connus avant d’émigrer en France, s’y étaient installés au milieu des années 1930. Abraham songea alors quelque temps à gagner les Etats-Unis, où ses deux frères s’étaient déjà exilés.

Mais le couple a décidé de rester en Europe et a regagné Paris. Déjà mariés religieusement, ils y avaient eu leurs deux premiers enfants, s’y étaient épousés civilement en janvier 1931, et le père y fonda une entreprise dans le domaine du textile.

Avant la guerre, la famille réside au 219, rue Bercy, dans le 12e arrondissement, où se trouvent l’atelier du père et le logement des siens. Lucien y passe une prime enfance heureuse. Il est aimé de ses parents, et de ses sœurs plus âgées : Ida, née en 1925, et Simone, née en 1928.

La guerre va bouleverser tragiquement cette vie de travail et d’amour.

Son père interné puis évadé

Désireux comme tant d’autres d’apporter son concours à sa patrie d’adoption et à faire front contre la folie nazie, le père Abraham va se présenter dans une caserne parisienne pour s’engager. Il sera envoyé à Marseille puis finira par être « remercié » en étant arrêté et dirigé vers le camp d’internement de Pithiviers. Il parvient à s’en évader et gagne la zone libre en 1941. Il trouve refuge dans un village près de Grenoble. Il y demeure jusqu’en 1944.

A Paris, la situation de son épouse et des trois enfants devient chaque jour plus dangereuse. Au début de l’année 1942, conseillée par une assistante sociale proche de l’OSE (Œuvre de secours aux enfants), la mère autorise Ida, l’aînée, à convoyer Lucien vers Limoges, en zone libre. Dans des conditions périlleuses, la mission est réussie. Ida laisse Lucien entre bonnes mains (celles de l’OSE, en l’occurrence) et rejoint, courageusement et seule, son père en Isère.

Sa mère et sa sœur déportées

Quelque temps plus tard, il était convenu que Dinah et Simone suivent le même trajet. Mais elles sont arrêtées lors du passage de la ligne de démarcation. La mère et la fille sont dirigées vers Drancy et sont déportées par le convoi 21 du 19 août 1942. Elles sont assassinées à Auschwitz dès leur arrivée.

Dina et Simone Zilberstein, source Yad Vashem

Lucien ne l’apprendra qu’en 1945.

Entre-temps, il est pris en charge à la maison d’Espère de l’été 1942 à fin 1943. Quand le home lotois est évacué, le garçon âgé de 8 ans est transféré avec nombre de ses petits camarades vers le château du Masgelier, dans la Creuse, mais le centre est bientôt fermé à son tour, et Lucien est placé dans une famille. Par la suite, il rejoint un établissement catholique à Lourdes, puis est confié à des familles de la cité mariale. Il s’y trouve quand la région est libérée. Et c’est à Lourdes aussi que sa sœur aîné Ida qui était partie à sa recherche vient le « récupérer ».

Mais pour Lucien, d’une certaine façon, la guerre n’est pas encore finie. Son père ne peut le prendre pleinement en charge à Paris et le garçon qui a appris qu’il ne reverrait plus ni sa mère ni sa sœur Simone devient pensionnaire d’une maison de l’OSE à Saint-Quay-Portrieux, dans l’actuel département des Côtes-d’Armor, jusqu’à l’automne 1947…

Il faut vivre...

Après un bref retour à Paris, sa sœur Ida qui a rencontré son époux Jozef Brukarz pendant l’Occupation ayant décidé de s’installer en Israël, convainc le paternel de pouvoir y emmener Lucien. Mais l’expérience est éphémère.

Avec détermination, Lucien Zilberstein finit par débuter dans la vie active à l’orée des années 1950 dans une petite société de transports. Il grimpe les échelons dans la vie sociale, fonde une famille, garde contact avec son père qui a refait sa vie et avec Ida qui a fait la sienne, malgré les traumatismes (elle décèdera en 2008).

En 1994, il entame une sorte de « pèlerinage » sur les différents lieux où il a été enfant caché durant la guerre. A Espère, Lucien est accueilli par Claude Parriel (1930-2018), maire du village de 1983 à 1995. Les deux hommes se sont croisés pendant l’Occupation à l’école communale…

M. Parriel aide Lucien à reconstituer à grands traits l’histoire de la maison et grâce à des archives alors disponibles, les deux hommes ajoutent quelques noms à la liste des enfants qui furent accueillis à Espère.

... et il faut transmettre

Dans le même temps en effet, Lucien s’est rapproché des services de l’OSE pour reconstituer précisément son itinéraire et en particulier les conditions de son séjour à Espère. C’est à partir de ce travail que sera réalisé le court chapitre consacré à la maison lotoise dans le livre de Katy Hazan, « Le sauvetage des enfants juifs pendant l'Occupation dans les maisons de l'OSE 1938-1945 », avec Serge Klarsfeld, Somogy éditions / OSE, 2009).

Lucien Zilberstein rédigera également une autobiographie où ses souvenirs lotois (et des éléments glanés lors de son voyage) tiennent une place non négligeable : « Août 1942, gare de Drancy », éd. Je Publie, Paris, 2008, seconde édition en 2019 avec une préface de Serge Klarsfeld.

La travail de Lucien Zilberstein constitue en quelque sorte l’embryon de notre propre entreprise de recherche. Nous y faisons référence notamment pour ce qui relève de la vie quotidienne dans la maison.

Nous lui adressons tous nos remerciements et notre infinie reconnaissance pour cette œuvre pionnière. Enfant caché, orphelin, victime de la Shoah, Lucien Zilberstein a donc été également un passeur, un militant de la mémoire, assurant la transmission de cette histoire - et de son histoire - à ses enfants et petits-enfants, et plus largement aux jeunes générations.