Les enfants Transport

Félix Transport, né le 20 juillet 1930 à Paris (13e).

Juliette Transport, née le 25 février 1934 à Paris, décédée le 9 juin 1978 à Houston (Texas, États-Unis).

 

Les enfants Transport sont nés à Paris, dans la maternité la plus proche du petit appartement loué par leur mère au 13 rue Ternaux, dans le 11e arrondissement. C’est leur mère qui les déclara et les reconnut également, signant du nom de Divorja Transport, née le 15 avril 1895 à Plock (Pologne).

Le père, George Transport, est arrivé à Paris en provenance d’Odessa, alors ville de Russie, dans les années 1920, selon l’entretien accordé par son fils Félix Transport en 2014 à l’US Memorial Museeum, qui précise que ses parents ne sont mariés que « religieusement ».

Il apparaît selon les souvenirs de Félix que l’homme s’absentait régulièrement du domicile. La mère, pour sa part, se consacre à la petite entreprise artisanale qu’elle a fondée, spécialisée dans la confection de ceintures. L’atelier et la machine sont installés dans le logement.

Placés dès leur plus jeune âge

Peu de temps après la naissance de Juliette, le père quitte le domicile et gagne les Etats-Unis où il était censé épouser une cousine éloignée. A plus de 80 ans, quand il témoigne, Félix constate dépité qu’il ne possède pas de photo où ses parents posent ensemble…

Un père absent, une mère qui travaille avec abnégation : les enfants sont donc placés dès leur plus jeune âge dans des institutions spécialisées, notamment des orphelinats catholiques, dont le plus marquant aux yeux de l’enfant était situé à Saint-Cloud. Félix se souvient de religieuses strictes et de punitions humiliantes quand il avait « fait pipi au lit ». Il se rappelle également d’une visite de sa mère qui lui offrit un cadeau, peu avant Noël, et d’un jeune camarade très doué en dessin, ce qui a pu donner à Félix le goût de son art pour en faire plus tard son métier…

Durant cette prime enfance, sa sœur Juliette est également placée, mais dans des établissements réservés aux fillettes.

A une date non précisée (mais peu avant la guerre), Félix et Juliette se retrouvent au sein cette fois du centre de l’OSC (Œuvre israélite des séjours à la campagne) établi à Louveciennes. On y pratique alors, régulièrement, des exercices durant lesquels les enfants doivent apprendre à se protéger en utilisant des masques à gaz. Troublés, les petits Transport ne comprendront que plus tard qu’il s’agissait là des prémices d’une longue période jalonnée de troubles, de peurs, de deuils.

Trois ans et demi dans le Lot

Pourtant, pour ces petits Parisiens, la Seconde guerre débute par une longue parenthèse en milieu rural : en juin 1940, avec leurs camarades et leurs encadrants, ils arrivent à Mercuès, puis sont établis quelque temps à Douelle et enfin à Espère. Ils vont rester dans le Lot trois ans et demi. Ce qui constitue un pan entier de leur enfance. Scolarisés, habitués à la vie en collectivité, ils souffrent certes de menus parfois peu variés mais jamais, ils n’y seront victimes d'antisémitisme : Félix et d’autres garçons se bagarrent bien parfois avec d’autres gamins lotois de leur âge dans la cour de récré. Mais les uns et les autres avancent des arguments qu’ils ne comprennent même pas.

Mieux. Les petits Transport ont la joie de voir leur maman se jouer de la réglementation et venir s’installer plusieurs mois à Espère. Elle y trouve une chambre louée dans une maison qui borde la route départementale à la sortie du village en direction de Prayssac. Et elle y travaille comme couturière pour nombre de familles de la localité qui peuvent ainsi « bonifier » leurs tickets de textile… Le week-end, Félix et Juliette la rejoignent, et le premier se souvient 70 ans plus tard quand il témoigne du tabac que le propriétaire faisait sécher dans son jardin… Et des promenades que le monsieur, qui avait combattu durant la Première guerre, effectuait en compagnie du gamin le dimanche, quand il faisait beau, dans les petites forêts voisines.

Les enfants séparés jusqu'en 1947

Leur maman regagnera Paris après quatre ou cinq mois. Et en décembre 1943, quand la maison est fermée par sécurité, Félix et Juliette sont conduits au Mageslier (Creuse). Leur mère a été avertie, car elle leur envoie un gâteau… Mais ce n’est qu’une courte étape. Ce home de l’OSÉ doit fermer à son tour.

Les enfants sont dès lors séparés, et une nuit, Félix est emmené à Bourganeuf (Creuse). Il est interne dans un collège. Il expliquera plus tard que plusieurs adolescents étaient également juifs, parmi les élèves, mais devaient cacher leur religion et vivre sous de fausses identités. Félix n’en a pas eu besoin, son patronyme semblant très « passe partout »… Un rituel en forme de bizutage le terrorisait néanmoins : quand des élèves plus âgés s’amusaient à dénuder des plus jeunes pour les couvrir de cirage…

A l’approche de la Libération, Félix est placé enfin à Poulouzat, près de Limoges.

Durant cette période, on ignore dans quelle institution de l’OSÉ Juliette a été cachée.

En 1945, Félix demeure parmi les enfants continuant à être pris en charge par l’OSÉ et est admis dans un foyer à Champigny-sur-Marne. C’est un choc : même s’ils sont encadrés et soignés dans des conditions différentes, Félix y rencontre des enfants ayant survécu aux camps… De nouveau cependant, il reçoit fréquemment la visite de sa mère.

En 1947, enfin, il retourne vivre chez sa mère, retrouve Juliette. Sa mère est toujours couturière.

Il revient en France... pour son service militaire

Le père que ses enfants n’avaient pas revu depuis des lustres fait le voyage à Paris, ayant possiblement servi dans l’armée américaine pendant la guerre.

Puis, grâce au « parrainage » d’un oncle maternel, avec leur mère, Félix et Juliette partent s’installer à New-York. Les parents se marient enfin civilement. Et si Juliette est encore scolarisée, Félix travaille comme apprenti boucher.

Puis il est employé comme graphiste dans une société de design.

Mais désormais américain, Félix Transport est bientôt appelé à effectuer son service militaire. Il l’accomplit en France, sur une base de l’OTAN à Orléans. Il occupe un poste d’interprète étant parfaitement bilingue.

De retour aux États-Unis, il fondera ensuite une entreprise, toujours dans le domaine du design.

La malheureuse Juliette, devenue secrétaire, décède dans un accident de la route à l’âge de 44 ans.

« Une photo de moi ? Je n'en suis pas digne... »

Félix, lui, prend sa retraite en 1994. Quelques mois plus tard, il effectue un voyage en France et retrouve durant quelques jours les charmes du château de Mercuès, qui est devenu alors un hôtel de standing.

S’il n’a pas eu d’enfant, il est entouré par ses neveux et vit paisiblement. Heureux de témoigner, il insiste sur sa reconnaissance envers l’OSÉ mais refuse de transmettre une photo : « A quel titre ? Je n’ai eu aucun mérite. J’ai même eu beaucoup de chance, quand tant d’autres sont morts ou ont vu leurs parents ou leurs frères et sœurs être déportés... » Quand nous échangeons avec lui, par téléphone, il conclut par cette anecdote : « Un organisme me livre les repas à domicile désormais. Il y en a toujours trop dans l’assiette. Je ne mange que la moitié, et encore. J’ai appris à me contenter de peu. Et ce peu est toujours beaucoup. »

Sources : entretien accordé à l'US Memorial (United States Holocaust Memorial Museum) en novembre 2014 (intervieweuse :  Julie Kopel) et entretien téléphonique accordé par M. Transport à Philippe Mellet en 2022. Merci à Marie Mellet pour les traductions.