Les enfants Berkowicz
Isaac Berkowicz, né le 8 octobre 1933 à Liège (Belgique).
Esther Berkowicz, née 11 décembre 1934 à Liège (Belgique), décédée vers 2000 en Belgique.
Isaac (primitivement Izaac) est mentionné comme ayant séjourné à Espère selon des documents postérieurs au voyage effectué dans le Lot par Lucien Zilberstein dans les années 1990.
Pour ce qui concerne sa sœur, sa présence demeure hypothétique.
Les deux enfants sont nés à Liège, en Belgique, où s’étaient établis leurs parents originaires de Pologne pour le père et d’Allemagne pour la mère : Daniel (né le 23 juin 1907 à Wielnn) et Suzanne née Goldfinger (née à Cassel le 2 juin 1915). Le père exerçait la profession de tailleur.
Internés d'abord près de Boulogne-sur-Mer
Quand la guerre éclate et que la neutralité belge est violée par l’Allemagne, il apparaît que la famille est arrêtée et figure parmi les centaines d’adultes et enfants transférés puis internés en 1940 en France, au camp de Dannes-Camier, dans la région de Boulogne-sur-Mer. Les noms d’Isaac et d’Esther figurent sur une liste conservée à l’US Holocaust Mémorial (*).
A une date inconnue, la famille rejoint la zone dite libre.
On retrouve sa trace à Luchon (Haute-Garonne, à proximité de la frontière espagnole), où elle est assignée à résidence : c’est depuis cette même localité qu’elle rejoint en date du 1er avril 1942 la station thermale de Lacaune, dans le Tarn, avec des centaines d’autres familles juives, dans le cadre d’une assignation à résidence « collective » (**).
Ainsi regroupées, les familles juives étrangères se révèlent hélas des proies « faciles » pour les complices du Reich quand le stade ultime de la mécanique de la Shoah va être mis en œuvre et que des rafles massives seront ensuite opérées en France occupée comme en zone libre.
Un miracle à Lacaune
C’est alors qu’un petit miracle va se produire. Des rafles se produisent bien à Lacaune. La plus notable est celle du 26 août 1942. Or, les Berkowicz y échappent. Ils sont alors logés par la famille Coulon, route de Viane, sur le nord-ouest du bourg. Isaac raconte : « Un camion de la gendarmerie s’est bien arrêté devant la maison. Il y avait déjà plusieurs personnes venant d’être arrêtées dans le véhicule. Mais le propriétaire du logis est sorti à la rencontre des gendarmes et il a reconnu l’un d’eux. Il lui a proposé de venir boire un verre à l’intérieur. Nous étions dans l’une des pièces, mes parents, ma sœur et moi. Mon père a eu alors la présence d’esprit alors de nous commander de le suivre, de sortir par une porte sur l’arrière de la demeure. Et nous avons couru pour nous cacher dans les sous-bois... »
La scène est restée ancrée à jamais dans la mémoire de l’enfant, qui en cette fin d’été n’a pas encore 9 ans.
On sait que les réseaux de différentes organisations juives clandestines étaient déjà actifs, alors, dans la région. Le maquis de Vabre n’est pas loin. Dans des circonstances restant à préciser, la petite famille doit se disperser. Les enfants, Isaac et Esther, sont très certainement confiés à un représentant d’un de ces réseaux. Isaac, questionné à la fin de l’année 2024, à l’âge de 91 ans, se souvient simplement avoir été placé dans un couvent avec des religieux et sa sœur dans un monastère de religieuses. Sans doute, dans l’intervalle, ont-ils pu être un temps accueillis à Espère, qui fait fonction de « maison relais ».
Les parents, eux, ont réussi à gagner Andorre. Bien que l’accès à la principauté soit surveillé, le territoire est, comme l’Espagne, une zone de refuge.
A l'abri en Andorre
Ils sont logés sur le village d’Ordino, à quelques kilomètres au nord d’Andorre-la-Vieille, à l’hôtel Quim, chez Mme Rauzy, selon une fiche des archives de l’American Jewish Joint Distribution Committee (dit « le Joint »), qui finance depuis ses bureaux suisses et espagnols le sauvetage, l’exfiltration et l’exil des Juifs fuyant la Shoah. Cette fiche date d’avril 1944. Daniel et Suzanne sont rattachés au bureau de Barcelone.

Selon Isaac, avant la libération de Toulouse le 19 août 1944, leurs deux enfants ont rejoint les parents en Andorre.
Plus de 80 ans plus tard, Isaac se souvient qu’à plusieurs reprises, durant ce séjour en Andorre, son père Daniel « a fait semblant de tenter de gagner l’Espagne à pied par la montagne ». Pour sécuriser les siens, restés à l’hôtel ou en tout cas à l’abri, en induisant en erreur les indicateurs travaillant en Andorre pour la police française et l’armée allemande ?
Toulouse libérée, la famille s’installe dans un appartement au 6 rue Sainte-Anne, à proximité de la préfecture. Le père reprend son activité professionnelle d’avant-guerre, et exerce comme tailleur.
Il est plus que probable cependant que Daniel et Suzanne Berkowicz aient envisagé de quitter la France. Dans ces mêmes archives du Joint, est conservée une carte du service de l’émigration du bureau de Paris en date du 17 janvier 1951 indiquant que la famille est sur le point de gagner le Canada. Les visas semblaient prêts. Mais il n’en fut rien : les Berkowicz se sont en quelque sorte enracinés dans la capitale régionale.

Les parents comme les enfants, lesquels sont naturalisés français en 1956.
Après son cursus scolaire, Isaac deviendra chauffeur livreur aux Nouvelles Galeries et en 1973, il s’établit comme chauffeur de taxi à son compte. Il prend sa retraite en 1993.
Esther et sa mère ont regagné la Belgique
Entre-temps, il a épousé une Toulousaine, Jacqueline Coudié, décédée pramaturément en 2004. Le couple a eu deux enfants : Eric, en 1964, et Daniel dit Dany, en 1970. Le premier nommé se souvient en 2024 avoir passé beaucoup de temps durant ses premières années auprès de ses grands-parents. Des moments qu’aura sans doute appréciés Daniel Berkowicz, qui décède le 12 janvier 1970 à l’âge de 62 ans seulement.
Esther, pour sa part, épousera Charles Aïdan et décide de regagner sa Belgique natale. Sa mère Jacqueline l’accompagne.
Esther donne naissance à une fille, Deborah.
Eric Berkowicz se souvient de vacances estivales, avec sa tante et sa cousine, à Knokke-le-Zoute, il y a déjà plusieurs décennies.
Esther décède au tournant du XXIe siècle.
Isaac est toujours parmi nous. Quelque peu affecté par les contraintes liées à la crise sanitaire, en 2020, il quitte Toulouse et s’installe dans une résidence pour seniors à Bagnères-de-Bigorre. Son fils Eric habite à proximité. Ce dernier confie que son père a attendu longtemps avant de témoigner de son enfance perturbée par la guerre. Isaac, pour sa part, questionné spécifiquement sur ce point, explique ne pas avoir de souvenir quant à son passage à Espère.
Il a accepté cependant bien volontiers de répondre à nos questions, par l’entreprise de son fils. Merci, très cher Isaac !
(*) Données établies à partir d'une liste de Juifs étrangers envoyés au camp de Dannes-Camier par la Direction de la Police des Etrangers de Liège, d'après les informations recueillies par l'historien Thierry Rozenblum en 2009. Mise en ligne sur le site de l’US Holocaust Museum Memorial.
(**) A propos de l’assignation de plusieurs centaines de familles juives à Lacaune en 1942, et des rafles des 26 août et 1942 et 20 février 1943, 119 hommes, femmes et enfants furent déportés et assassinés à Auschwitz ou Maidanek, voir le site de l’AAJL (Association Amitiés judéo-lacaunaises) et cet historique précis qui évoque les réseaux qui ont pu venir en aide aux familles fuyant la ville.
Sources : US Holocaust Memorial, Archives de l’American Jewish Joint Distribution Committee, site AJPN, site Gallica- BNF, témoignage de Monsieur Isaac Berkowicz.
Nos remerciements à MM. Eric et Florian Berkowicz.