Les souvenirs de Félix Transport

Félix est l’un des enfants ayant séjourné dans le Lot (à Mercuès, Douelle puis Espère) de la mi-juin 1940 à décembre 1943 sous couvert de l’OSC (Œuvre israélite des séjours à la campagne) puis de l’OSE (Œuvre de secours aux enfants).

Né le 20 juillet 1930, il passe donc une grande partie de sa pré-adolescence dans ce petit canton du Quercy et a conservé des souvenirs assez précis de ce que fut son quotidien, de l’organisation de l’institution et de quelques péripéties et facéties qui ont jalonné ces années lotoises...

Dans son témoignage auprès de l’US Shoah Memorial puis au cours de deux entretiens téléphoniques qu’il nous a accordés depuis New-York où il s'est établi depuis l’après-guerre, il les raconte avec une forme de douce nostalgie, conscient qu’alors, d’autres drames se nouaient, et qu’il allait ensuite s’en rendre compte de manière assez violente. Comme dans l’établissement de l’OSE en région parisienne où, de 1945 à 1947, une partie de ses compagnons était constituée d’enfants et adolescents ayant survécu à la déportation...

Une notice biographique complète est évidemment consacrée à Félix Transport.

Le château de Mercuès

Quand elle arrive à Mercuès en juin 1940 après un long trajet en train de Paris à Cahors puis un court transfert en autocar, c’est d’abord au château des anciens évêques de Cahors que séjourne « la colonie ». Comme un parc d’attractions pour les enfants…

Le château de Mercuès. Illustration Nelly Blaya.

« C’était un vrai château du XIIe ou XIIIe siècle. Je me souviens que c'était amusant pour nous. Nous avons vite pris l’habitude de courir partout sur ces murs. Nous aurions pu tomber et nous tuer. Mais on s'amusait. Nous étions en juin 40, ici la guerre était en cours et nous nous amusions là-dedans ! Nous n’y sommes restés que quelques jours, jusqu’à ce qu’une autre maison soit prête à nous accueillir, mais en attendant, on en a bien profité… Même si nous devions dormir à même le sol. Il n’y avait même pas de matelas. »

Le nombre d’enfants, l’école

« Nous étions au total deux douzaines d’enfants. Des garçons et des filles, dont un certain nombre, comme c’était mon cas, étaient frères et sœurs. »

« Quand le temps fut venu, après l’été, nous sommes allés à l’école. L’école communale, une pour les garçons, une pour les filles. Les instituteurs comme les autres enfants savaient que nous étions juifs. Il y a d’ailleurs eu des bagarres plus tard. D'Espère, nous marchions deux kilomètres jusqu'à Mercuès pour aller en classe. Parce qu'il n'y avait pas de place, en tout cas pas assez, dans le village, sans doute. Nous faisions le trajet quatre fois par jour. En chantant. Et peu importe le temps qu'il faisait ! »

L'école des garçons de Mercuès, aujourd'hui mairie. © Nelly Blaya.

« Nous nous battions parfois avec les autres enfants, à Mercuès. Alors, nous avons expliqué au rabbin (en réalité le directeur, NDLR) que les enfants (du village) nous disaient que nous avions tué le Christ. Et que nous étions de sales Juifs et ainsi de suite… Le rabbin nous a dit de nous défendre ! Ainsi, un jour, le professeur m’a pris par l’oreille, et m’a emmené dans une salle, seul, à l’écart. Ce fut ma punition. »

La nourriture, la maraude, et les lapins

« Je déteste le dire, mais les adultes semblaient bien se porter. Mais nous, nous n’avions presque rien à manger. Nous avions très faim. Et à Espère, nous étions très près de champs où poussaient toutes sortes de choses, il y avait des pommes de terre et des carottes et toutes sortes de fruits et légumes qui étaient cultivés, juste à l’extérieur de la maison. Nous (quelques copains et moi) avons décidé de faire quelque chose. Ce fut d’aller très tôt dans les champs et de cueillir des pommes de terre, à cinq minutes de là où nous étions. Et nous faisions ça tout au long de la saison, avec des pêches, des pommes de terre, des carottes, et nous les rapportions. Deux d'entre-nous allaient chaque matin chercher de la nourriture, en l’emballant dans une grande serviette.

Et nous faisions cuire les pommes de terre, mais au feu, parce que chaque pièce avait sa propre cheminée (soit dit en passant, tous les garçons étaient dans la même grande chambre) : nous mettions du bois, on allumait le feu et nous mettions les pommes de terre dedans.

Et après, nous les mangions.

Jusqu’au jour où deux d’entre-eux ont été pris par des paysans (les métayers, Note des éditeurs du site) et ils ont été emmenés chez le directeur. Ils se sont fait sacrément tirer les oreilles. Mais on a continué. Je me souviens d'y être allé une fois avec un autre garçon mais on a entendu du bruit : on est rentré en vitesse et on s’est recouché. J’ai mis le sac avec les fruits sous mon matelas. Et bien sûr, quand je me suis levé, toutes les pêches étaient complètement écrasées !

Et je me souviens d’une blague que nous avons faite au fermier. Parce qu’il surveillait et nous empêchait d’aller chercher notre nourriture… Nous savions où se trouvaient les lapins. Alors, nous avons ouvert leur cage (comment dit-on ? Oui, le clapier), pour que les lapins sortent…Juste pour le plaisir…. »

Des vêtements usés...

« On portait nos vêtements jusqu'à la dernière limite, vous savez. Je me souviens de chaussures que j’ai utilisées jusqu'à ce qu'elles se déchirent. Mais le cas échéant, grâce au directeur, nous avions de nouveaux pantalons, des jeans, ils étaient envoyés par une organisation (le Joint ?) basée en Amérique et qui était au courant de ce qui se passait en France et dans d'autres pays d'Europe. Mais bon, le plus difficile, c’était la nourriture. Une fois, on nous a servi du poisson qui n'était pas bon et beaucoup d'enfants sont tombés malades. Et je n'ai jamais vu d'œuf. Sauf une fois, à Mercuès. Après plus jamais. »

Les paquets cadeaux et les séjours de sa mère

« Ma mère nous envoyait parfois un peu d’argent. Où elle nous envoyait des paquets. Et puis elle est même venue. C’était à l’occasion d’une fête juive. Pour Souccot, en automne. Elle avait apporté du miel et des noix, comme le veut je crois la tradition... »

Sources : entretien accordé à l'US Memorial (United States Holocaust Memorial Museum) en novembre 2014 (intervieweuse : Julie Kopel) et entretien téléphonique accordé par M. Transport à Philippe Mellet en 2022.