
Maurice Korman
Maurice Korman, né le 19 février 1931 à Colmar, décédé le 28 février 2021 à Dallas, Texas (États-Unis).
C’est à l'hôpital civil de Colmar, en Alsace, que voit le jour dans la matinée du 19 février 1931 le petit Maurice Korman. Ses parents ont fait le déplacement depuis la localité voisine de Rouffach.
Le père Israël Korman, né en 1900 à Varsovie, y tient un commerce, selon l’acte de naissance du fiston. Sa mère, Szejneila (l’équivalent de Suzanne en français) Poznanska, née la même année mais à Lodz, y est déclarée « sans profession ». Qui peut deviner alors que cet enfant sera une sommité scientifique, professeur émérite et fondateur de la division psychiatrique de l’Université du Texas, qu’il dirigera jusqu’en 2002 ?
On ignore tout de la prime enfance de Maurice. Et l’on ignore également à quelle date la famille a quitté Rouffach. Dès la déclaration de guerre en septembre 1939 ? Ou lors de l’attaque allemande, en mai 1940 ? A moins, comme d’autres étrangers ou citoyens français, juifs ou non juifs, que les Korman aient été expulsés en décembre 1940 lors de la rafle de Rouffach pour être dirigés depuis l’Alsace annexée par le Reich vers la France (dans la zone libre) ? On sait en effet qu’à cette date, plusieurs familles de la localité furent transférées (sans ménagement) vers Lyon en train. De là, elles gagnèrent avec l’aval des autorités de Vichy la cité sanitaire de Clairvivre, sur la commune de Salagnac, en Dordogne (*).
Reste que les parents placent bientôt Maurice « pour sa propre sécurité, dans une école avec un groupe d'autres enfants juifs », nous a expliqué le Dr Beth Kennard, qui a été l’élève puis l’une des collègues du Pr Korman à l’Université du Texas. Un témoignage qui lui a été transmis par l’une des petites-filles de Maurice, Hannah. Cependant, toujours selon cette source, « le garçon n’était pas satisfait de cette situation, notamment en raison de la nourriture. Alors il a écrit à son cousin Léon, qui est venu le chercher à vélo. »
Une aide providentielle. Nombre des anciens camarades juifs de Maurice auraient ensuite été raflés…
Toujours est-il que l’enfant Maurice Korman est mentionné à Espère en 1942 et/ou 1943 par Lucien Zilberstein.
Passé en Espagne dès juin 1944
On retrouve sa trace à la Libération. Le 13 juin 1944, il est signalé par l’organisation de secours de l’American Jewish Joint Distribution Committee, basée notamment à Barcelone, comme « arrivant de France ». À cette date, le quart sud-ouest de la France n’a pas été libéré. C’est donc clandestinement que Maurice a traversé la frontière, via une filière relevant ou non des réseaux spécifiques de la résistance juive.

Il sera ensuite dirigé vers Lisbonne pour partir aux États-Unis. Dans les archives du « Joint », sur une liste d’enfants dans la même situation, il est noté que Maurice y possède de la famille prête à l’héberger : les Wladower, demeurant avenue Dumont à Brooklyn (New-York). Un autre document est plus précis encore : l’enfant aux cheveux bruns et aux yeux verts, âgé de 14 ans, sera le moment venu pris en charge par Frances Wlodawer épouse Korman. Les orthographes varient. Et le 4 mai 1945, l’adolescent embarque pour l’Amérique…
On connaît mieux la suite. Comme si les épreuves de la guerre et de la persécution l’avaient dopé, il entame après la fin de sa scolarité un cursus universitaire particulièrement brillant. D’abord au Brooklyn College de New York où il obtient un diplôme en psychologie puis à l'Université du Minnesota où il devient docteur en psychologie clinique en 1957. Entre-temps, il sert comme soignant en psychologie au sein de l'armée américaine à New Cumberland, en Pennsylvanie, de 1953 à 1955.
En 1958, le voilà nommé professeur adjoint en psychiatrie à l'Université de Southwestern du Texas. C’est ensuite qu’il créera et dirigera une division dédiée à la psychiatrie. Ils n’y sont que deux enseignants à l’orée des années 1960. Ils sont plus d’une centaine quand il prend sa retraite en 2007. « Un homme brillant, réfléchi et humble. Il a vraiment consacré sa vie à former et à encadrer les autres et n’a jamais cherché à se mettre en avant » dira de lui son collègue, le Dr Munro Cullum. Quant au Dr Beth Kennard, professeur de psychiatrie, elle lui rendra cet hommage : « Il a joué un rôle très stratégique en développant des programmes et en encadrant de jeunes professionnels qui ont contribué à la communauté. Il souhaitait beaucoup former des psychologues compétents et bien formés pour notre communauté, l'État et la nation. »
Ses parents ont survécu
Naturalisé et devenu citoyen américain en 1952, Maurice Korman s’était marié la même année avec Claire Levine (décédée en 2019), qui fut également enseignante dans le supérieur. Le couple aura trois enfants, David, Ken et Stephanie Korman, et de nombreux petits-enfants.
On ne compte pas les publications scientifiques du Pr Korman, ni les hommages qui furent rendus au couple après la disparition de Maurice et de Claire, à deux ans d’intervalle. « C’était un bonheur de les voir se promener ensemble, à plus de 80 ans, se donnant la main, les yeux pétillants, souriants... » a écrit un proche sur un livre de condoléances virtuel.

Reste que s’il s’est confié à ses enfants et petits-enfants sur sa jeunesse française, Maurice n’a peut-être pas tout dit.
Pourquoi, par exemple, en 1950, comme l’atteste une liste de passagers, a-t-il effectué un voyage éclair entre New-York et Le Havre ? Sans doute a-t-il alors revu ses parents. Lesquels ont survécu à la Shoah, et furent naturalisés en 1952. Il a également alors retrouvé sa sœur, Hélène.
Mais si tous trois ont donc pu échapper au pire, nous n’avons rien retrouvé à leur sujet après la date de 1952.
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(*) Bâtie sur les modèles des cités-jardins, Clairvivre accueillit dès 1933 des soldats de la Première guerre qui avaient été gazés et avaient développé des maladies pulmonaires. Elle devint ensuite un sanatorium. Le site accueillit également des réfugiés républicains durant la guerre d’Espagne. Des services de l’hôpital civil de Strasbourg y ont ensuite été transférés durant la Seconde guerre, et de nombreuses familles juives y furent protégées. Au péril de leur vie, les médecins de l’établissement y soignèrent aussi de nombreux résistants.